Episode 6 – Le costume de la Rédactrice

Dix minutes, pas une de plus. À peine le temps d’aller se ruer sur la cafetière de la salle des professeurs, d’aller s’en griller une derrière le local à vélos, et de retourner en classe pour accueillir les élèves. Élèves qui arrivèrent avec du retard, évidemment !

Dans un joyeux brouhaha, les jeunes se replacent, traînant la patte, discutant de trucs de jeunes – auxquelles Lucie n’entend pas grand-chose – et finissent par offrir une attention sensiblement résignée. Eh oh, c’est pas de sa faute à elle si la matinée entière est bloquée !

« Donc, reprend la scribouillarde. J’ai terminé mon stage, des étoiles plein les yeux, un petit chèque en poche, et une détermination à toute épreuve. C’est bon, je savais ce que je voulais faire : Rédactrice Web. C’est donc tout naturellement que j’ai tenté de draguer l’agence qui avait bien voulu me former. Après tout, ils étaient dans le besoin, je n’avais aucune prétention salariale, ils savaient comment je travaillais… Bref, ça me semblait jouable.

— Et ça ne l’était pas, c’est ça ?

— Non, pas du tout même. Après m’avoir flatté sur mes qualités, me vantant au passage la grande utopie du salarié recruté pour ses compétences et non ses diplômes ; l’on m’expliquait que j’avais mes chances dans le métier si… Je me mettais à mon compte.

— Attendez, genre que vous montiez une boîte, comme ça ? s’étouffe à moitié un blond qui n’avait pas enlevé sa casquette.

— Oui, oui, « comme ça ». Les personnes du milieu avec qui je discutais ont eu la gentillesse d’être directes : sans diplômes, pas de contrat de travail. Et quand je me suis un peu renseignée sur les études qui ouvraient à ces postes, j’ai vite compris que ce n’était même pas en rêve. Je n’avais ni le temps ni l’argent, et encore moins l’envie, de me frapper cinq années dans une école de communication, ou de journalisme, tout ça pour faire ce que j’avais pu faire directement en stage ! Et n’ayant pas le courage de me lancer en Freelance, j’ai laissé cette histoire de côté.

— Mais vous êtes Rédactrice, maintenant, c’est donc que c’est possible !

— Tout à fait ! Je vous le répète, mais tout le monde peut faire ce métier. Il suffit d’un peu de volonté. Un an plus tard, cette histoire me trottait encore en tête… J’ai rayé la possibilité d’être prise dans une agence, et j’ai cherché du côté de l’Auto-Entrepreneuriat. C’est un statut qui, à l’époque, permettait facilement, sans apport, et avec une grande souplesse fiscale d’avoir un numéro de SIRET afin de se faire payer pour ses missions. En quelques clics sur Internet, j’ai pu créer ma société, et me mettre au travail.

— Et c’est tout… ? intervient une des demoiselles du premier rang.

— Oui, c’est tout. Le plus dur à l’époque n’était pas d’avoir une boîte, mais d’avoir des clients. Et encore ce dernier point m’a été très accessible.  L’Auto-Entrepreneuriat est très pratique pour tester une idée, et voir un peu comment se déroule le travail lorsqu’on est seul. C’est une expérience à vivre intense, mais qui ne laisse pas indemne.

— Vous êtes toujours Auto-Entrepreneuse à l’heure actuelle ? demande avec curiosité l’enseignant.

— Non, j’ai changé pour le statut d’Entrepreneur-Salarié dans une pépinière d’entreprises. J’ai fait ce choix après avoir vu que le statut d’AE se transformait au point de ne plus me satisfaire. En fait, pour être complètement transparente, si j’avais bien fait mon travail d’Entrepreneur AVANT de monter mon statut, j’aurais directement pris cette option.

— Pourquoi ?

— Plus intéressante à mes yeux, plus simple. Là où je veux en venir, c’est que ce n’est pas parce que cinq minutes suffisent à monter sa boîte qu’il faut se dispenser de se renseigner et de comparer les statuts ! Et ce n’est pas parce qu’on peut bosser en pyjama que l’Entrepreneuriat est plus épanouissant que le Salariat.

— Quoi, vous regrettez ce choix ? » s’exclame le professeur mal à l’aise à l’idée d’avoir invité un patron qui doute.

Lucie éclate de rire, depuis que l’Entrepreneuriat est synonyme de parcours à la Steve Jobs, les gens fantasment à outrance sur la réalité du métier.

« Ce choix, comme vous dites, n’en était pas réellement un. Si je voulais faire de la Rédaction Web, je devais en passer par là. Mais j’ai choisi, effectivement, de faire de la Rédaction Web. Sauf que la motivation et la passion ne suffisent pas. Il n’y a pas de solution miracle, de statut parfait, d’idée géniale. Je suis en train de vous dire que tout s’analyse, tout se compare… Et surtout que tout se paie.

— À vous entendre, on ne fait pas ce que l’on veut quand on est patron.

— Quoi, vous ne l’aviez toujours pas compris, ça ? » se moque Lucie.

 

 

A suivre…

 


Quel statut juridique pour le Rédacteur Web ? Freelance, salarié, autre chose ?

Ah ! Voilà qu’au contraire de beaucoup d’Entrepreneurs, je vous explique que, finalement, aucun statut n’est supérieur à un autre. Et je le crois sincèrement.

La manie – très à la mode – consistant à dire que l’Entrepreneuriat est supérieur au Salariat m’agace. Pourquoi ? Parce que chaque individu est différent, et qu’une situation ne peut s’appliquer à tous. L’Entrepreneuriat, quel que soit son statut juridique finalement, demande beaucoup de sacrifices, d’autonomie… Et de couilles ! Mais ne vous y trompez pas : tout autant que le Salariat.

Il « en faut » pour se forcer chaque matin à prendre les transports en commun / se farcir les bouchons, tout ça pour être coincé derrière un bureau impersonnel dans un open-space bruyant, sans  cesse dérangé pour tout et n’importe quoi. Sans cesse épié, scruté pour la moindre pause-café, clope, ou même caca. Il « en faut » pour supporter ses collègues, hiérarchie, clients imposés. Etc.

Il « en faut » aussi pour se débrouiller seul. Douter sans cesse de soi. Ne jamais savoir de quoi demain sera fait. Accepter l’isolement, accepter de devoir revoir à la baisse ses aspirations. Accepter de se planter. Oser, tout simplement.

Je ne vais pas développer, le billet serait incroyablement long. Mais vous l’aurez compris : je ne préconise rien, et ne défends/fustige aucun statut. Je crois qu’il est nécessaire pour le passionné de se renseigner avant, de tenter les aventures, et de faire comme il peut, en acceptant l’idée qu’une expérience, fût-elle douloureuse ou exaltante, est primordiale pour avancer.

Plus qu’une volonté de gagner de l’argent, je pense que toute personne doit avoir une idée en laquelle il croit derrière. Après, le reste, même dans la difficulté, devrait suivre.

 

 

 
unsplash-logoPatrick Fore

Camille Gillet Écrit par :

Auteure - Storyteller freelance "Makes the world a Market Place"

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