L’araignée et son instinct grégaire

« Internet c’est virtuel, pis d’abord les gens sont pas réels, et quand est-ce que tu vas sortir de chez toi ? Et pis t’as besoin de social, mais non discuter avec des gens sur Twitter ça sert à rien, cette société se barre en couilles ma pauv’ dame, Hollande démission ! Ah merde, c’est déjà fait. »

Il y a, à propos du Web, une belle brochette de conneries et de mythes, à commencer par la virtualité des rapports. Et si vous avez le malheur de vous mettre à votre compte pour y bosser, vous pouvez être certains qu’on va vous sortir, le regard plein de pitié, cette phrase insupportablement condescendante : « Mais heu… Ca ne te manque pas d’avoir des collègues ? »

Nan. Nan, parce qu’avant, ils étaient cons. Aujourd’hui, je les choisis !

 

De l’incapacité de l’Humain à se passer des autres

 

Ça aurait pu être le titre de l’article, mais j’aimais bien l’aspect poétique de l’autre.

L’être Humain est une bête de meute. J’vous passe la quote sur le fait que c’est un loup, ça devient aussi chiant que celles sur Steve Jobs. Mais quoi qu’il en soit, notre race ne peut survivre sans être regroupée. La faute à notre morphologie de chétifs fragiles, avec nos petits ongles et nos petits poils éparses qui ne protègent rien du tout. Ce qui a fait la différence au niveau de la chaîne alimentaire ça a été notre intelligence collective et notre volonté de nous asservir nous-mêmes. Hein ? Ouais. En créant des sociétés (prisons par excellence de l’anarchisme latent de notre espèce si vous voulez mon avis), on s’est dominé, mais on s’est aussi donné les moyens de devenir à nous tous une immense machine de destruction massive, et de création en tous genres.

Comme les fourmis, oui.

Mais une fois que l’on quitte son salariat, pour se retrouver (pour notre exemple) à bosser comme un con en calebut’ tout seul chez soi. Il se passe quoi ? On en revient au problème de base : seul, on ne fait rien. Alors on va resauter.

De notre propension à utiliser les autres

Quand tu te mets à ton compte, tu t’imagines que ta réussite ne va dépendre que de toi. Puis tu te rends compte que tu ne connais personne, ou presque. Que tu as besoin que ton produit soit relayé. Que tu as besoin de tisser un réseau.

Et là, tu découvres ce fait : même virtuellement, tu dois recréer une micro-société. Avec tes contacts Facebook, Linkedin, Twitter, peu importe, tu vas faire des listes. Et dans ces listes, tu vas avoir des gens que tu espères utile. C’est terriblement cynique mon propos, mais je vous demande de l’observer d’un point de vue purement pratique. On va laisser la morale deux secondes de côté le temps de réfléchir.

Du coup, même sans le vouloir, tu vas te retailler un costume d’occasion que tu vas porter avec ces gens. Eh ouais. T’es pépouze dans ton bureau, la main dans l’froc, l’haleine dégueulasse et t’as peut-être pas vu depuis des jours une douche, MAIS, virtuellement, t’es impeccable. Lisse. Sans défaut. Et puis tu vas en donner du smiley pour lécher des kilomètres et des kilomètres de. Non, tu veux pas savoir. Tu m’connais trop pour ça.

Mais admettez que ce comportement est le même qu’en entreprise irl. Donc bosser virtuellement ne nous affranchis pas de ce besoin de l’autre. Et qu’en est-il du lien social ? Le fameux lien social que l’on perd dans mon en-tête ?

De la recréation à la machine à café

Ce titre a un sens. Vous avez juste du mal.

Ceci n’est pas rare. C’est même un rituel que l’on tente de respecter… Bah quand l’un de nous y pense. Mais nous ne nous arrêtons pas ici. L’on se souhaite le bon lundi, le bon week-end. Parfois on fait des « pauses café virtuelles ». Bref, nous passons du temps ensemble comme des « collègues ».

Et ce n’est pas un phénomène isolé. Sur les RS, via Skype, TS, forums, ou autres, nous nous regroupons. Instinctivement, nous recréons ce que nous avions quitté jusqu’alors : un cadre.

Mais ce n’est pas seulement parce que nous avons besoin d’un espace bien défini (quoi qu’on pourrait en rediscuter), mais, je pense, parce que nous avons besoin des autres pour créer et travailler. Pour vivre. Pas seulement « besoin » dans le sens « utile » comme nous l’avons vu pour le réseautage. Je parle ici d’un besoin primaire : celui de se regrouper parce que l’Homme est comme ça. Même le plus orgueilleux et misanthrope se rend compte qu’il a besoin de l’autre.

De la virtualité des sentiments

Bon, avec ce titre déjà on voit très bien où j’veux en venir, et je ne vais pas vous retenir plus longtemps. C’est dur pour tout le monde en ce moment.

Mais pour en finir avec cet éternel débat de la virtualité des relations et des émotions créées grâce ou à partir du Net, il faut extraire la définition du mot « Virtuel » de son contexte informatique. Putain, avec cette phrase, j’ai peur d’avoir perdu la moitié des comateux du coin…

On sait que cela s’oppose au réel, et j’vais vraiment pas revenir sur la définition de Deleuze, etc. Parce que j’laisse ça à d’autres qui savent mieux jouer sur ces thématiques. Mais quoi qu’il en soit, selon « l’école de pensée », soit le virtuel est ce qui précède le réel et son impact concret, soit la copie de ce qui est réel qui arriverait à en adopter une partie de ses qualités. Pour comprendre ce dernier point, pensez à un miroir.

Vous êtes encore là ?

Permettez donc que je vous fasse cette conclusion simple et rapide : nous avons vu que notre être humain se recrée son petit environnement social, et cherche à avoir ses interactions. Nous voyons que la virtualité d’une émotion n’exclut pas du tout sa réalité, ni son impact positif et réel.

DONC, notre petite araignée (parce qu’elle tisse sa toile. Toile = Internet. Tu comprends maintenant ?), quand on lui demande si elle ne se sent pas toute seule, notre petite araignée pourrait répondre :

« NAN, ET TA GUEULE, DELEUZE ME DONNE RAISON. »

Non ? Non, pardon.

Elle pourrait répondre :

« Eh bien, Monsieur Pujadas, penser que de la réalité d’une interaction dépend moins de sa sincérité que de son média, c’est un peu penser que tout n’est qu’abstrait et intangible, et c’est prendre le risque de partir en nervous breakdown… »

 

En d’autres termes : que la réalité d’une chose dépend surtout de ce qu’on en fait.

 

Ma cassdédie à mes adorables « collègues » qui, chaque jour, me rappellent que c’est génial de discuter avec les gens, et pas de remuer sa merde dans une petite auto-satisfaction personnelle.

Camille Gillet Écrit par :

Auteure - Storyteller freelance "Makes the world a Market Place"

6 Comments

  1. 7 décembre 2016
    Reply

    Déjà je me suis bien marré :
    « La faute à notre morphologie de chétifs fragiles, avec nos petits ongles et nos petits poils éparses qui ne protègent rien du tout. »
    Puis ensuite j’ai réfléchi.
    Sur le virtuel et le réel, que dire.
    Deleuze dit (grosso merdo), que l’arbre existe « virtuellement » dans la graine.
    Donc, le réel n’est pas vraiment opposé au réel, mais à l’actuel (tu vois la nuance, spider woman ?).
    Et d’ailleurs qu’est ce que le réel ? Dans notre définition, il est absolument égal au virtuel : il vibre, sonne, crie, se lit. Rassure, inquiète, émeut. Bref, il est vie.
    Il est comme une bande de petites araignées qui sautent sur une toile, en fait.

    Merci <3

    • 7 décembre 2016
      Reply

      Ah merci, parce que j’ai hésité en plus à parler de ça, parce que je réfléchissais, et tout… Et j’embrouillais. Le problème c’est cette notion d’actuel qui commence à me perdre.
      Mais à c’compte là, tout est virtuel, en fait. Que cela soit chez Deleuze, ou même chez nous. Et ce n’est plus un mal (si tant est qu’il ait pu l’être).

    • 11 décembre 2016
      Reply

      Yo, j’ai pas compris où tu voulais en venir, mais ma foi, merci pour le son 😉

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