Il y a trois semaines, j’ai fait la rencontre de Stéphane Briot, aka 4h18. Cela a coïncidé avec mon retour dans le « Noble Jeu » du Web. Notre rencontre, grâce à Twitter, a déclenché chez moi une réflexion très particulière que j’ai partagée sur mon blog perso l’A-4. Au cours d’un article, j’évoque ce que j’appelle « l’orgueil de la virgule », mais qui devrait en réalité s’intituler : « Le syndrome de l’imposteur ».
J’aurais dû commencer PressEnter de cette manière, parler de ce problème qui touche toute personne qui décide d’entreprendre, de créer, de se montrer. Je le fais maintenant, donc on ne va pas s’en plaindre !
Le syndrome de l’imposteur, c’est quoi selon moi ?
J’pense que tout le monde s’est déjà retrouvé dans ce cas de figure : on a une idée en tête, une envie de réalisation, on se sent ultra motivé, gonflé d’une confiance à toute épreuve, on commence à réfléchir à la mise en œuvre de son travail, à sa réalisation, puis, au bord du précipice… On s’arrête soudainement. On stoppe net. On retient sa respiration. On interdit même à son cœur de battre.
« Et si j’étais nul(le) ? Si mon idée était nulle ? Si je ne valais rien ? Si ce que j’ai à dire/faire/vendre n’est pas de qualité ? Et si je n’étais pas prêt(e) ? Et si je me plantais ? Et si l’on découvrait qu’en fait, il y avait meilleur que moi ? Et si l’on me trouvait imparfait(e) ? Et si…. ? »
« Et si j’étais un imposteur ? »
Ces phrases – et il y en a une quantité folle – on a forcément pioché dedans un jour. Elles ont forcément résonné dans nos têtes à un moment donné. C’est obligé, ou alors, soit nous ne sommes pas honnêtes, soit nous ne doutons de rien. Et pour cette dernière possibilité, permettez-moi de croire que c’est impensable. On doute forcément. Forcément, parce que rien n’est certain. (J’vous laisse réfléchir au paradoxe de cette phrase)
Quand on décide de sortir du schéma classique, quand on décide de se montrer à poil, avec pour seul bouclier ce que l’on est, on est mort de trouille. Parce qu’on se pisse dessus à l’idée que ce que nous sommes soit remis en question.
Nous avons peur d’être rejetés
Quand on est salarié, ou étudiant, on correspond à une catégorie plutôt majoritaire. On est bien au chaud dans sa classe sociale, même si elle peut nous faire du mal. Et surtout : on peut se cacher derrière. Qui s’intéresse à Jocelyne de la Compta, hein ? On se fout pas mal de sa personnalité, elle n’est qu’un emploi, qu’un métier, qu’une donnée dans une immense structure. Qui va chercher à connaître John l’étudiant en Droit ? Personne, en dehors de ses amis. Mais sur le plan intellectuel, sur l’évaluation de sa qualité d’étudiant, tout le monde s’en tape. Il n’est qu’un étudiant de plus… Pareil pour le chômeur, à ceci près que lui, on s’en fout réellement parce qu’il ne vaut rien : il est chômeur.
Bref, j’essaie d’être concise, mais je pense que vous comprenez où je veux en venir. Cette non-existence est du pain béni pour le confort. Se noyer dans la masse et la norme permet d’éviter les questions sur soi. Parce que justement, le jour où vous vous démarquez, là, les projecteurs sont braqués sur votre gueule.
Que vous monétisiez ou non votre entreprise (à comprendre dans le sens large du terme), soudainement, ce n’est plus une société qui vous chouchoute et vous sert de filet de sécurité. Ce n’est plus des réductions étudiantes à McDo qui vous permettent de vous abstenir de vous définir en tant que personne. Non. Quand vous créez, osez entreprendre, vous vous retrouvez dans votre pire cauchemar ! Celui où vous rêvez que vous êtes allés à l’école/travail totalement à poil, celui où tout le monde rigole, et où vous cherchez avec désespoir un pot d’fleurs pour vous cacher.
Là, c’est pareil. La phobie d’être rejeté pour notre physique se transforme en phobie d’être rejeté pour nos idées, pour notre personnalité, pour notre passion : pour nous-mêmes.
Le regard de l’autre, magique et dévastateur
Pour en revenir à Stéphane, j’ai eu la réaction viscérale suivante : Il s’est intéressé à moi, m’a trouvé pas trop conne, et BAM ! Grosses pensées contradictoires. Je suis passée, presque simultanément du stade de :
« Youhou ! Je ne dis pas de la merde, et quelqu’un dont j’apprécie l’esprit semble me retourner la pareille ! »
à :
« Oh, la la… Mais il se trompe sur mon compte, j’suis qu’une nullasse qui n’a jamais rien fait de sa vie. Et s’il s’en apercevait ? Non, je dois absolument lui dire que je ne mérite aucune attention. »
Des les deux cas, le regard que Stéphane a porté sur moi a été fort d’imprégnation. Positive ou négative, ma pensée de moi-même s’est déterminée au travers de son prisme. Du moins, de ce que j’en percevais. Être visible, c’est donc s’exposer à la critique (bonne ou mauvaise) des autres. Quand c’est mauvais, on en souffre parfois dans des proportions tragi-comiques, et quand c’est bon, on trouve quand même le moyen de s’auto-persuader qu’on ne les mérite pas.
C’est ça le syndrome de l’imposteur : c’est la capacité à croire que de toute façon, on n’a rien à foutre là.
Démystifier l’excellence, déconstruire l’Entrepreneur
Et c’est là que les choses se corsent, parce qu’il faut à un moment donné dépasser cette croyance nocive du « je ne vaux rien ». Il le faut, sinon, on retourne dans sa grotte, et on abandonne ses projets. Donc, pour avancer, il faut croire, ou du moins au début, faire croire que l’on a des raisons d’être là.
Faire croire, vraiment ? Non, justement.
A partir du moment où l’on existe en tant que personne, où l’on est capable d’intelligence et d’authenticité ; à partir du moment où l’on a une idée, un désir de partager ce que l’on est, ou ce que l’on sait faire : on a des raisons légitimes d’être « sur la place ».
Oui, ok, on n’est pas nécessairement des putains d’experts. On n’est pas nécessairement les prochains Mark Zuckerberg. On n’a pas nécessairement LA REVOLUTION de ce nouveau siècle dans ses valises. Et donc ? Est-ce une raison valable pour ne rien faire ? Est-ce pour cela que ce que l’on est, ou souhaite être n’a pas le droit de cité ?
Absolument pas ! Le truc, c’est qu’on nous a fait croire que la réussite et le génie se détectent très tôt, sont faciles d’accès, défoncent tout sur leur passage, et sont reconnus immédiatement par tout le monde dans tous les médias. La bonne vieille blague du mec qui code dans sa chambre, à 15 ans, un truc qui va rapporter demain des millions, faut l’oublier ! Des gens comme Einstein, Socrate, Darwin, et tant d’autres, n’ont pas eu le succès immédiatement, se sont vus surtout conspués à leur époque. Si on a une image d’eux si reluisante, c’est essentiellement parce que leur talent a été reconnu après coup. Parce qu’il a été largement médiatisé et canonisé.
Que se serait-il passé s’ils avaient renoncé dès les premières critiques ? Le syndrome de l’imposteur les aurait-il réellement épargnés ? J’en doute fort. Seulement, ils n’ont rien lâché. Parce que ce qu’ils avaient à dire/faire était beaucoup plus important que la notion de succès.
Un entrepreneur n’est pas quelqu’un qui gagne des fortunes. N’est pas quelqu’un qui réussit tout. N’est pas un mec/une femme blindé de thunes, une vie sexuelle parfaite, et sa couv’ dans le Times !
Un entrepreneur est un passionné qui tente de faire quelque chose. Qui s’affranchit du monde pour créer le sien. Contre vent et marée, sans jamais renoncer. Un bon entrepreneur, est un entrepreneur qui collectionne les échecs parce qu’il refuse d’abandonner. Pas un mec qui gratte au loto une fois dans sa vie et qui explique que c’est ça le mérite !
Le syndrome de l’imposteur est vital
A mon sens, c’est quelque chose de sain, même. Douter est important. Cela permet d’avancer. Mais il ne faut pas que cela nous paralyse. Chaque fois que je me remets en question, je cherche à m’améliorer. Cela me permet de réajuster certains tirs et d’affiner ma vision du monde. Ne pas se croire sur-puissant est non seulement sage, mais profondément salvateur. L’excès de confiance est nocif, car cela reviendrait à traverser une autoroute les yeux fermés.
Il faut juste savoir doser ce doute. Il faut savoir l’utiliser comme une force, et non comme une faiblesse. Il faut savoir voir le beau dans ce qui est socialement considéré comme étant honteux. Car ce n’est pas honteux de douter, cela ne le sera jamais.
Réussir, c’est quoi ? Entreprendre, c’est quoi ?
La réussite, ce n’est pas « ne jamais échouer », de la même manière que le courage n’est pas « ne jamais avoir peur ». Bien au contraire. Il n’y a aucune honte à dire que l’on ne sait pas. Que l’on est toujours en train d’apprendre.
Je ne comprends définitivement pas les personnes qui n’osent pas être ce qu’elles sont, j’aimerais les aider. Et je n’ai pas de la pitié pour eux. J’en ai en réalité pour les imbéciles qui pensent qu’ils savent tout, qu’ils ont tout gagné, qu’ils n’ont plus rien à apprendre. Je les plains sincèrement, car quand je les entends s’autoproclamer « Alpha et Oméga d’un domaine », j’ai l’impression qu’ils font l’aveu d’une fin d’existence. D’un mort intellectuelle prématurée.
Après tout, quel est l’intérêt de vivre si tu n’as plus rien à accomplir ? Plus de découvertes à faire ? Plus d’expérience à endurer ?
Et toi qui donnes des leçons, tu le gères comment ce syndrome ?
Ça ne surprendra personne, mais il est mon compagnon d’infortune depuis ma naissance. Je suis la première à me dévaloriser sincèrement, à douter de moi-même, à aller jusqu’à me flageller jusqu’au cortex.
Je suis la première à me dire que je n’ai pas de raison d’être ici. Mais comme j’ai envie d’être là, parce que je ne me vois pas m’arrêter d’écrire, je le fais. Et tant pis si je passe pour une conne aux yeux de certains. Tant pis si j’ai l’air d’une débutante qui n’a rien à faire là. Tant pis si je me vautre lamentablement. Je suis ici, et j’ai le droit d’être ici.
C’est à moi de décider, pas aux autres !
C’est ma prérogative, c’est également la vôtre. Personne n’a de droit de regard sur ce que vous êtes. Personne n’a le droit de vous dire que vous n’êtes rien, que vous ne valez rien, et que vous devez être autre chose que vous-même.
Alors pourquoi voulez-vous le penser ?
Et pour reprendre sur l’idée : La Kapsule de 4h18 à ce sujet. Comme quoi, c’est un problème qui touche tout le monde 😉
J’adhère, c’est presque une révélation pour moi,
Oui j’ai le droit d’écrire et oui je peux apporter quelque chose au monde.Ce ne sera pas parfait, parfois mauvais (toujours ? Et alors ?). Mais je donnerais ce que j’ai à donner, avec mon coeur et puis, peut-être même que j’en inspirerais d’autres ! Toi en tout cas tu m’as inspiré, c’est décidé je m’y remet !
Il y aura toujours meilleur que nous, toujours quelqu’un pour râler, d’autres pour adorer, tant qu’on est sincère et honnête 🙂
Je suis contente que ça ait pu t’apporter quelque chose, et surtout : que ça t’ait parlé.
Petite parenthèse, je t’invite vraiment à farfouiller sur l’Inkubateur, Stéphane en parle vraiment très bien, et il aborde de nombreuses problématiques qu’on connait tous.
La fin de ton commentaire résume le phénomène : oui, il y a toujours meilleur, alors autant de pas s’arrêter pour autant. Parce qu’à ce compte-là, je suis presque sûre que quelqu’un respire mieux que moi… Du coup, que me reste-t-il ?
Evidemment que tu as le droit d’écrire ! Parce qu’écrire c’est parler et penser. Et ce sont des choses fondamentales. La pensée n’est pas un métier (pour faire un petit tacle du côté des « philosophes de profession »), lorsqu’une civilisation se met à le croire, c’est qu’elle est sur le déclin. Il n’y a pas de « pensée stupide », finalement. Des gens intelligents disent de grosses conneries, et inversement.
Ce qui est important, pour moi, ce n’est pas tant la qualité de la pensée que le fait de continuer à pratiquer. Je préfère mille fois un cancre qui prend le temps de réfléchir, qu’un intellectuel qui ne pense plus.