Dans la vie de tous les jours, il existe un organisme qui est dédié à la surveillance et à la mise en lumière des sectes qui peuvent s’introduire dans nos quotidiens, et les ruiner. La Miviludes, donc, scrute attentivement les organismes sectaires pour les contrer, pour protéger les cibles potentielles et alerter les citoyens.
Mais qu’en est-il du Web ? Qu’en est-il de la secte la plus dangereuse à laquelle – vous et moi, acteurs du digital – nous sommes confrontés ? Je parle bien entendu de « L’organisation du Soleil Digital Cosmique ». Qu’est-ce ? Vous connaissez, forcément.
Eux aussi font de la prédication
Les membres et les principaux gourous de cette dangereuse secte sont facilement reconnaissables. Non, ils ne vont pas par deux, mais ils portent souvent un costume qui leur est propre : un t-shirt « cool » sous une veste de costume, et des baskets de ville aux pieds. En hiver, ils adoreront le col roulé. Côté méthode d’approche, on retrouve cette manie de « toquer à toutes les portes ». Sauf qu’ici, eux, ils font du « écran à écran », du RT à RT, du « Salon digital au Salon digital ».
Comme toute secte qui se respecte, la prédication est le cœur du métier, la base de leur pouvoir, l’hameçon dangereux dont vous devez vous méfier. Un beau jour, ils vous apostrophent avec leur sourire engageant, leur raie sur le côté, et leur brochure impeccable. Un jour, vous voyez passer sur la toile un article. L’article qui pourrait bien changer votre vie.
Reprenant les codes apocalyptiques et utopiques de leurs cousines « les sectes de la vie réelle », celle du Soleil Digital Cosmique va vous harponner sur un titre accrocheur :
- Le titre angoissant : « Les 5 erreurs à ne pas commettre sur Twitter »
- Le titre qui fait rêver : « Comment gagner 10 000 euros avec un seul article ? »
Une fois que vous avez cliqué dessus, la propagande commence. Le léviathan du Web s’apprête à vous bouffer tout cru !
Répète après moi : « Tu n’es rien, tu as besoin du Messie Cosmo-connecté ! »
Vous arrivez enfin sur l’article, avec, peut-être, votre faiblesse béante et déjà béate d’admiration : Vous attendez que ce papier vous révèle la vérité. Ainsi donc, vous êtes potentiellement déjà réceptifs aux préceptes de la secte. Et si non, le papier se chargera de vous mettre en condition.
Le Soleil Digital Cosmique aime bien commencer ses discours par : « Tu es perdu, tu es nul, tu ne vaux rien, ta vie est un échec vide de sens. » En se couchant sous votre rétine infantile, ces mots vont vous conditionner pour le reste de votre lecture. Si les deux premières lignes vous vexent, les trois suivantes vous feront douter. Les cinq dernières vous auront convaincus. On vous brise d’abord, pour ensuite introduire aux forceps de vagues leviers prêts à l’emploi.
Une fois totalement vidé de tout amour-propre, de toute impression de qualité, et plus encore : de toute confiance en vous et en vos capacités, la secte du Soleil Digital Cosmique va vous charmer.
Elle va vous cajoler, vous rassurer, vous prenant sous son aile. « N’aie pas peur petit apprenti du Web, je suis là, j’ai un mode d’emploi validé par les hautes instances Martiennes de la Galaxie Alpha. Ces secrets, moi seul les connais, mais je m’apprête à te le révéler, car je suis bon, et je sens que tu en es digne ! »
Suivent alors une série de recommandations arbitraires. Il faut faire ceci comme ça, ne surtout pas oser cela, oublier telle idée, maximiser telle méthode. Et l’article se passera largement de vous citer des sources, ou des chiffres documentés. Une nouvelle fois, comme la secte parfaite qu’elle est, Le Soleil Digital Cosmique se contentera de vous faire rêver :
- « +250% de trafic sur mon site en dix minutes grâce à cette méthode !! »
- « 99,9% de taux de transformation ! »
- « Un CA assuré à 20k/jour minimum, si vous usez de ce même truc de grand-mère ! »
Commencent alors les partouzes numériques
La plupart des sectes adorent mélanger spiritisme et sexe. Idéalement dans cet ordre : pour arriver à l’extase intellectuelle, commences par me prêter ton compte en banque et ta femme.
Ici, c’est pareil. Le Soleil Digital Cosmique, à la fin de l’article, vous aura tellement conforté dans l’idée qu’il est détenteur de la vérité absolue du Net que vous allez signer votre engagement sur la durée, et commencer ce que je nomme « la partouze numérique » : Vous allez partager l’article.
Dans vos cercles, un véritable changement s’opère. Tout le monde clique, tout le monde tombe dedans, tout le monde partage à son tour. Et vous voilà pris au piège dans un cercle d’adorateurs d’un grand gourou qui vous pompera argent, orgueil et pouvoir.
Voulant, vous aussi goûter à cette influence, cette rentabilité, cette réussite sociale qui vous ont été promis, vous aller vous fendre de Tweets and co à grands renforts de mots clés pour montrer que vous aussi, vous connaissez le secret du BigBang !
Et votre notoriété va croître. Du moins, vous en aurez l’impression trompeuse. La véritable personne qui se gave sur votre prosélytisme fidèle est le gourou à l’origine de tout ceci.
Pendant ce temps, notre réincarnation de Steve Jobs se remplit les poches
Et sur votre dos ! Car en lui accordant votre confiance, en lui témoignant de l’admiration, et en le disant à l’ensemble de votre clan, vous faites grandir son pouvoir et son influence. Et comme il n’est pas bête, c’est même pour ça qu’il est l’un des gourous du Soleil Digital Cosmique : il propose des formations, des trucs et astuces, des solutions, contre votre argent !
Pendant que vous achetez de quoi vous démoraliser, de quoi douter plus encore, notre messie, lui, va pondre d’autres brochures destinées à détruire d’autres personnes, tout en plaçant habilement vos thunes sur son compte en banque. Et tout ceci dans quel but ? Pour pouvoir justifier ensuite dans ses « tutos » son « fabuleux CA de killer-mother-fucker-yeah ! »
En d’autres termes, sa réussite est la vôtre. Et comme toute victime de secte, vous l’ignorez, et vous laissez faire.
S’il n’y a pas d’organisme pour nous protéger, comment faire ?
Il faut commencer par refuser d’imaginer que tout ce qui se trouve sur Internet, même s’il y a de jolies images, relève de la vérité. Il faut également refuser l’idée que vous ne valez rien. Ces sectes se servent de vos doutes – car on en a tous – pour les retourner contre vous, et vous pousser à consommer leurs « solutions ».
Je ne dis pas que tout est à jeter dans ces articles/ces vidéos. Je dis en revanche que si l’on est critique face au journal de TF1, on doit l’être aussi face à son propre réseau.
Ce n’est pas parce qu’un de vos contacts le partage que c’est du pain béni, et que vous n’allez pas vous étouffer avec. Prenez du recul, ne vous laissez pas faire, osez vous dire que vous n’êtes pas d’accord avec tel procédé !
Si vous êtes ici, ce n’est pas par hasard, c’est que vous en avez dans le ventre. Alors ne baissez pas les yeux sous prétexte que certains poissonniers crient très fort. Vous aussi, vous savez faire de bonnes pêches !
Note : Pour aller plus loin, et voir un exemple type de texte, faites un tour sur « La Révélation » revisitée par Saint-Jean 2.0
Je kiff kiff kiff
Tout est dit. Très grande classe.
Chapeau.
Je réponds un peu tard, mais merci beaucoup Cédric !
J’ignore si c’est la vérité vraie, mais c’est le sentiment que j’ai à force de voir passer divers papiers et diverses personnes (les rares fois où je gravite irl dans ces milieux).
Je me demande même dans quelle mesure ces billets n’ont pas un effet peut-être plus pervers que je ne l’imagine…
VOILA, c’est CA dont nous avons besoin. Je suis heureux de voir qu’un site de plus amorce une démarche critique sur le milieu, et en toute connaissance de cause. PressEnter passe donc dans mes favoris et on continuera à discuter. Je suis rassuré de voir qu’Internet n’est pas qu’une poubelle à contenu pour perdre 10 minutes entre 2 pauses café à lire des listes à la mord-moi-le-noeud écrites par des stagiaires, nouveaux ouvriers des usines à clics. J’aime le ton et je souhaite vivement que beaucoup de monde perde du temps ici plutôt que sur un énième site vendu à un système délétère. Nous sommes bien placés pour savoir que le web c’est aussi nous qui le faisons et que nous sommes en partie responsable de sa qualité.
Je remarque également que tu as mis un lien en bas d’article, ce billet m’avait scandalisé. Il faut quand même assumer le fait de dire :
« Les mots compliqués vous font passer pour un âne. Ne dites pas «il est aisé de», dites «c’est facile de».
Encore merci et à très vite.
Tu n’as pas à me remercier « MOVLW » ! Tu as déjà largement entamé cette réflexion sur ton propre site. Et c’est justement cela que je trouve très encourageant ces derniers temps : il existe de nombreux blogueurs et pros du Web qui proposent de se pencher un peu sur les mécanismes de ce milieu. Qui tentent d’apporter une critique constructive, et d’amener un nouvel Internet. Plus humain, mieux pensé, mieux construit.
Pour revenir sur le billet que nous mentionnons : il y a avait des choses intéressantes dedans. Plus précisément dans l’introduction, je me disais « pourquoi pas ». Mais tout le déroulement pour « vendre la came » m’a choquée. D’autant que certaines idées (comme celle dont tu parles) ne font que concourir à un abaissement du niveau de la qualité rédactionnelle sur Internet. C’est bien dommage. Je crois qu’au contraire, il ne faut pas prendre ses lecteurs pour des cons.
Enfin, on pourrait en parler des heures, un début de discussion, peut-être..?
A très vite aussi, et merci à toi !
Bien dit !
Dans le deuxième paragraphe, tu décris exactement tous les principes de manipulation mentale (tels qu’expérimentés à l’extrême dans des projets obscurs du genre « projet monarch mk ultra » de la CIA), principes que, depuis des décennies, se sont évidemment empressés de reprendre tous ceux que le pouvoir attiraient comme une gros étron bien luisant peut attirer les mouches. C’est ainsi que le management s’est emparé de ces méthodes durant des décennies, pour te faire croire que tu allais t’épanouir dans l’entreprise, et que ton entretien annuel était pour toi une séance cathartique bien plus enrichissante qu’une séance chez le Psy, et qu’en plus t’était payé pour ça… Trop bieeeen.
Bref, tu résumes à merveille les méthodes éhontées dont tous ces nouveaux gourous abusent, méthodes qu’ils ont puisées dans le petit manuel du parfait manipulateur (vol. 1), ouvrage de psycho vulgarisant à souhait pour qui souhaite s’épanouir dans cette jungle capitaliste occidentale… Et comme ils sont doués à n’avoir aucun scrupule, ils pêchent online des petits poissons tous fragiles, qui rêvent de devenir de gros requins du web.
Et pour cela, ils savent dans un premier temps parfaitement bien te faire sentir que t’es qu’une merde qu’ils sont venus aider (période de déshumanisation du protocole de manipulation lambda), pour ensuite te faire sentir qu’il manque un truc dans ta vie (phase d’empathie de la part du bourreau, ou du manager qui se positionne en allié, en personne ne voulant que ton bien, cela va de soi), et enfin t’apporter le remède miracle, qu’en général tu paies de ta liberté, ou d’une blinde de pognon dans le cas de solution marketing, mooc, workshop, colloque, salon, ateliers, et j’en passe…
Entre, entre donc, Décérébration Généralisée, sache que tu es ici, sur le net, comme chez toi. Mi facebook es su facebook, les amis de mes twittos sont mes twittos. Assieds-toi, tu reprendras bien un peu de webinar, c’est du 2 ans d’âge…
Oh con ! Merci pour ton commentaire, c’est un bonheur à lire, et un complément délicieusement bien écrit ! Je ne vois véritablement pas quoi te répondre, nous sommes du même avis, et tu repasses en détail bien comme il faut. Mention spéciale à ta conclusion, imagée et percutante : « Mi Facebook es su Facebook ». Merci encore !
J’insiste vraiment sur le fait que tu devrais te pencher plus souvent sur ton blog. Je te lirai, à n’en pas douter.
Bravo Camille, super texte, comme toujours.
Acerbe et en même temps très imagé….
« Le Messie Cosmo-Connecté » WTF ! Fallait la trouver celle là !
Hello Vincent, et merci !
Je ne sais plus comment est venu cet article. C’est l’un des premiers que j’ai osé, avant de me dire qu’il me fallait être sérieuse ici… J’espère que cette inspiration reviendra vite, je préfère laisser l’austérité aux « autres » ^^