Il y a, à cette époque de période électorale, dans ce 21ème siècle tremblotant, une rengaine qui monte et qui démonte, une réalité qui fait tache, qui divise, qui excite les passions, qui fait voter pour ou voter contre.
La haine des media, confondue avec celle de l’Elite, est démantelée, morceaux après morceaux, conspuée car rattachée aux populismes. D’extrêmes droites, d’extrêmes gauches, mais rattachée quand même à ce que l’on nous a appris à détester.
Et au milieu de tout ce fatras, de toutes ces revendications, politiques d’une part, professionnelles d’autres part ; au milieu de ce brouhaha inaudible flotte, la vérité.
L’inintéressante vérité. Que je nomme, pour ma part, « réalité ». La banale réalité, celle d’une corporation de media, celle d’une responsabilité, réelle, que l’on a tendance à minimiser. Celle qu’on a tendance à taire, surtout : au quotidien, et puis aux grands JT.
Parce que cette réalité nous dérange tous. Gens du Peuple pour commencer : parce qu’elle dit de nous que nous sommes médiocres. Assez pour nous laisser avoir. Assez pour laisser faire.
Puis, gens de la profession : journalistes… Mais aussi Rédacteurs. Orateurs de tout horizon, numérique ou tangible ! Toute plume, tout vecteur d’information, tout tamis percé de la réalité, tout medium ; Nous tous, gens de cette profession, cette réalité nous dérange, car elle dit de nous que nous avons trahi nos idéaux. Ou notre auditoire. Ou même nos idoles.
Mais nous trahissons. Chaque jour. À chaque mot. À chaque choix éditorial. À chaque priorité donnée. Nous trahissons, chaque jour, notre premier engagement : informer, décortiquer, analyser. Comme un cuisinier refourguant des OGM en douce, nous trahissons, avec la même culpabilité. Et il est temps, grand temps, qu’on l’avoue :
Nous, gens qui vous racontons le monde. Nous, lorsque nous ne revêtons pas les oripeaux de l’Art. Nous, lorsque nous engrangeons de l’argent pour vous délivrer l’information que vous recherchez. Nous, lorsque nous vous braquons un éclairage dans une certaine direction ; nous vous donnons de la merde à bouffer.
Et c’est à vous que je vais m’adresser. Ce vous qui écoutez benoîtement, qui lisez consciencieusement, qui votez avec application, qui vociférez sans discontinuer ; le tout, en étant admirablement convaincus d’êtres éclairés, à vous, je vais vous le dire : Oui, les media, c’est de la merde. Et vous en êtes responsables, car vous adorez ça.
I- Idiocracy
Rarement, j’aurais fait une introduction aussi longue, d’autant plus sur un support tel que celui-ci. Support, qu’on ne cesse de décrire comme étant le repaire des bots et des abrutis ne pouvant souffrir un article sans image de plus de 200 mots.
Et c’est par cela que j’introduirais la première notion de ma contre-vérité. Je dis « contre », parce qu’on n’arrête pas de voir des gens du métier, du milieu, du biz, expliquer que la vendetta anti-media est injustifiée.
Non, elle ne l’est pas. J’explique ici selon-moi pourquoi.
La première raison pour laquelle vous devez vous méfier des media, est la suivante : nous vous prenons pour des cons. Ce que vous êtes, pour la grande majorité d’entre-vous. Et je le dis sans haine, c’est un constat personnel, que vous vous acharnez à me démontrer : oui, vous êtes cons.
Ou, plutôt pour cet exemple… Fainéants. Comme moi, rassurez-vous. Sauf que noyés dans la masse, ce vous devient insupportable de léthargie. Ne jamais trop réfléchir semble être la règle. En communauté, vous, nous, adorez en faire le moins possible.
Un clic, une image. Un zap, un JT. Une info, un vote. Et point. Vivement la prochaine révolution, qu’on recommence.
Et voilà qu’à cause de ce comportement, se décline, chez nous les Rédacteurs Web, la règle suivante : Ne. Surtout. Pas. Vous. Surmener.
En d’autres termes : vous proposer de juter directement sans préliminaires, et sans virer les chaussettes.
Ou, pour les plus pudibonds à l’idée que j’emploie un tel vocable : vous éviter de vous griller la rétine et deux neurones à lire des explications et des contextualisations, avant de vous délivrer une information.
Cette volonté de vous « faciliter les choses », parce que sinon « vous vous barrez d’un site », se traduit par le dogme qui suit :
- 1 article = 500 mots max (350 en moyenne)
- Phrases courtes (Sujet + verbe + complément)
- Mots simples, de deux syllabes
- Beaucoup d’images
- Du gras
- Encore des images
- La mention « likez, partagez, faites ce qu’on attend de vous »
Et si vous ne comprenez toujours pas (et n’allez plus dire après ça que je vous traite de cons injustement, quand même !), c’est très simple : on nous pousse… Pardon. Nous nous poussons tous à écrire des choses « faciles à comprendre pour vous ».
Parce que nous pensons que vous n’êtes pas capables de plus.
Et nous ne vous en demandons pas plus.
Alors, vous ne faites pas plus.
Alors, vous n’êtes plus capables, de ce « plus ».
Nous vous infantilisons. Et vous laissez faire. Qui est le plus responsable ? Nous ? Vous ?
Et alors ?
II- Hier l’audimat, aujourd’hui le clic
Et alors, sans contextualisation, sans explication, littérature et références. Sans analyse et Raison, il ne reste que la Passion. Que l’émotion.
J’vais pas vous faire un dessin façon Yoda, mais vous le savez :
- « Ivres, il fait un truc complètement con que je détaille dans l’article que vous ne lirez pas, parce que vous ne lisez que les titres ! »
- « [Mot-clé] + deux points règlementaires + titre putaclic »
- « Titre qui dit l’inverse du billet, mais c’est pas grave, ça vous pousse à détester telle ou telle chose volontairement pointée du doigt. »
Vous voyez parfaitement de quoi je parle.
De cette vieille idée qu’il faut que l’offre corresponde à la demande… À moins que cela ne soit la demande qui finit par adopter les codes de l’offre ? Ou… Attendez, qui a le QI le plus bas ? Le producteur de Touche Pas à Mon Poste ou son Audimat ? Ou bien est-ce le CSA qui laisse faire… ? Cette vieille idée qui dit que si vous cliquez/regardez/lisez/achetez, il faut qu’on vous le produise.
Cette idée – éprouvée – qui dit que, si vous êtes capables d’apprécier la merde… On va vous chier à la gueule, en prenant bien soin de vous la mettre sous vide.
Pourquoi on fait ça ? Pour que vous cliquiez. Un clic = une pub vue. Et quand celle-ci n’est pas nécessaire (mais pas absente pour autant, vous le noterez), le clic est là pour gonfler les verges déjà bien turgescentes des pourvoyeurs d’Infotainment en 140 signes.
Seulement pour ça ? Non.
III- Rentabilité
Règle N°1 : l’information ne circule pas seulement par les journalistes accrédités.
Surtout sur le Web.
Vous informer, avec un simple Bac en « Communication et Gestion des Ressources Humaines » (L’ancienne STT pour ceux qui savent, ou Bac « G », si je ne m’abuse), est tout à fait possible. Oh, je n’extrapole pas, je vous le dis : parce que je l’ai fait. Et oui… J’ai juste un bac techno. Et c’est tout.
Ça ne m’a pas empêché, pendant plus d’un an, d’intervenir… Ici ou là, sur des sujets allant de Nabilla à François Hollande, en passant par des questions aussi délicates que les changements de règles à la Présidentielle, ou les allocations CAF…
Sans formation au journalisme. Sans apprentissage de l’extraction d’information. Sans culture particulière, j’ai pu, j’ai été payée, et pire : lue ; sans ces bagages communément demandés aux moires de l’actualité, j’ai pu écrire ce que je voulais à des gens qui le prenaient pour argent comptant. Parce que publié sur des sites revêtant les codes des sites d’information sérieux.
Ne vous demandez alors plus comment des gens peuvent croire NordPress après ça. Car, moi je sais :
- Vous êtes cons
- Nous savons que l’habit fait le moine
Et pourquoi ne pas payer de « vrais professionnels » ? Parce que le Web n’avait aucune loi, ou presque. Que le mot « déontologie » fait déjà grincer les dents des « vrais journalistes », alors tu penses, ici… Et surtout parce que c’est pas cher.
Tu crois que ça gagne combien un Rédacteur pour un article ? J’vais te le dire mon gars. Moi, ma putain de plume, et ma putain de culture. Tu sais quoi ? Pour 600 mots bavés sur un sujet, voire jusqu’à 1500 et plus encore… Peu importait. C’était 6.50€ par papier. Ouais, t’as bien lu.
Alors, c’est pas toujours comme ça… Et pour ceux du fond : ça n’est plus DU TOUT mon prix. Mais pour tous les néophytes, tous ceux qui bitent que dalle à ce métier, qui comprennent même pas la gravité de leur position, c’est pas plus. Et ça, cette notion de prix, tu peux croire qu’elle intervient directement dans la qualité de l’info qu’on te donne.
Règle N°2 Les derniers seront les premiers
… Ou l’art de copier son voisin, parce que t’as pas le choix côté renta. En pratique, ça donne un système de prélèvement :
- De l’AFP
- Et des premiers articles concurrents
Oui, on peut rédiger un article de 500 mots et l’intégrer, images comprises, en moins de dix minutes. Oui, on peut le faire. À condition de savoir taper très vite, de connaître les bonnes requêtes Google pour choper les bons articles, de savoir les raccourcis pour faire « copier/coller », et d’avoir un esprit assez vif pour réécrire des contenus existants.
En d’autres termes : se servir du travail des autres pour faire le sien. Pomper. Copier. Voler. Tout simplement.
Mais bon… Dans le milieu, on va te dire – non sans une certaine complaisance – que Picasso avait une phrase à la con sur la copie. Hein ? Alors ça va… C’est qu’on peut faire.
Ce qui explique pourquoi tous les articles se ressemblent. Pourquoi il est si difficile de lire des opinions divergentes, et pourquoi tout le monde a l’impression de vivre dans une société aseptisée.
Et ça, ça n’est pas motivé par la flemme de la personne qui écrit. Non. C’est motivé par l’argent. Par la rentabilité. À trop vouloir tout sacrifier, on écartèle l’essentiel. Mais toi, tu t’en fous, pas vrai ? T’as vu Nabilla à poil et ça te va.
Règle N°3 La vérité n’est belle que si elle a de gros nichons
On pourrait presque dire à propos de l’information sur le Web – et je pense partout dans le journalisme – que si la vérité n’est pas capable de montrer sa chatte, de faire un massacre, ou d’être pétée de thunes, alors elle n’a pas plus d’intérêt que sa comparse : l’honnêteté.
Et dans un monde où tout va vite, où la rentabilité fait foi, où on te dégueule un pavé piqué à un voisin, tu peux croire que la vérité n’est jamais cherchée. Ce gros mot (non, pas déontologie, je ne suis pas vulgaire à ce point) qu’est le « fact-cheking », il est rarement employé.
Sauf en de rares occasions par quelques journalistes – pas peu fiers les abrutis ! – de t’expliquer qu’ils ont vérifié des dires, ou des infos… En somme de faire la base de leur travail.
Bref, on te VEND la vérité dans ces moments-là. Et c’est pas bon signe pour la société si elle devient un produit, et si elle est brandie comme un gage de qualité.
IV- Conflit d’intérêts
On ne peut pas, dans une structure d’information, détenue par si peu de monde, croire en sa pluralité, et donc : en sa neutralité, en sa capacité à ressortir l’information avec des opinions suffisamment diversifiées pour que le lecteur/spectateur/quidam/consommateur puisse être éclairé correctement.
- Si maman te dit que papa est un enculé… Et que personne ne la contredit, papa restera un enculé.
- Si maman te dit que papa est un enculé… Que papa te dit que maman est une enculée… Et que t’as pas mieux : tu vas pencher vers celui qui répond à tes instincts primaires.
- Pire : Si on te dit que la voisine est une salope, et qu’on fait l’impasse sur papa et maman… T’es généralement sur un site de désinformation.
Le savoir est le pouvoir. L’information dessine les contours de l’opinion publique. Et l’opinion publique vote. Pire : elle consomme, produit, travaille, acquiesce. De ce que vous croyez savoir dépend la structure de votre société. Les définitions mêmes du mot liberté, les trocs que vous allez pouvoir faire (contre de la sécurité, ou contre de l’égalité ?) pour la conserver… De ce que vous croyez connaître dépendra vos certitudes, la transmission de vos idées, de votre savoir auprès de vos enfants. De ce que l’on vous a dit dépendra la société de demain.
Et dans une société où l’information est détenue par… Non pas des gauchistes comme on adore le placarder bêtement, mais par des grands patrons de grands groupes, plutôt orientés à droite et plutôt libéraux… Eh bien dans cette société, si l’on vous braque le gyrophare à droite, justement, en vous disant :
- Les barbus, caca
- Les femmes et l’égalité, bouh
- Le burkini, han !
- La constitution, Pouah !
- Les Droits de l’Homme, berk
- La peur, youpi…
Dans cette société, donc, si vous n’avez que ce prisme, que croyez-vous que vous allez penser ? Vous, qui ne lisez plus dès que ça dépasse les 200 mots, hein ?
V- MerdiaS
Alors… Profitant de ce fait, se propageant comme une gangrène galopante, le FN (et d’autres courants d’extrême droite) fait son lit, dans nos cerveaux, sur nos écrans, et bientôt dans nos urnes. L’extrême droite, mais d’autres idées…
D’autres idées comme celle du « boah, j’m’en fous. T’façon on va tous crever ».
Vous savez, ce renoncement devant la dureté des choses. Ce renoncement à se battre, à chercher d’autres informations, d’autres horizons, d’autres avenirs. Bref : cette fabrique à d’autres gros cons… Et bien tout ceci, et le FN, oui, le FN, je sais : tout ça appellent le système que je décris comme « Les merdias ».
Et quand, jusqu’à l’extrême gauche, ça dénonce les petits arrangements, les coupes dans les interviews, les choix éditoriaux, les choix dans la hiérarchisation de l’information, dans les sources ; bref, quand ça critique cette élite (car c’en est une) qu’est la Presse (numérique, papier, accréditée, ou non) ; eh ben le fond de vérité est là.
Ce fond de vérité est réel. Il est en train de croupir, et de faire le lit de tout ce que nous avons de pires comme instincts : le voyeurisme, la haine, et la paresse intellectuelle.
Quand on vous dit que remettre en cause les media traditionnels est un réflexe de complotiste extrémiste, ne le croyez pas une seconde.
VI- Rien n’est vrai, tout est permis
Ce n’est pas seulement le creedo d’une bande d’assassins dans une vague franchise pour geeks. C’est surtout un propos attribué au premier des hashashyns, à ce sage de la montagne. Mais plus tard : à Nietzsche.
Ça n’est pas un encouragement à faire n’importe quoi, contrairement à ce que croyait Crowley.
C’est une phrase qui exhorte n’importe quel être doué d’intelligence à comprendre une chose : jusqu’à preuve du contraire, la vérité n’est pas absolue. Il est permis de la remettre en question, par sa recherche, ardue et structurée. Et cette recherche est une quête interminable.
Ni moi, ni le Figaro, ni F de Souche, ni je sais pas quoi n’avons raison sur un sujet précis. Nous n’avons que des opinions. Tout au mieux une série de faits que l’on interprète soit à notre convenance… Soit en servant nos intérêts.
La vérité
La vérité est qu’il n’existe plus de profession noble. Qu’il n’existe plus de parangon de la sainte information vérifiable et démontrable. La vérité est que ce monde se sert de votre renoncement pour se faire du profit. Moi la première : en usant de votre renoncement à écrire vos propres pages de site…
La vérité est que la solution ne viendra jamais ni des élites, ni des journaux. Il n’y aura aucune grande révélation, aucune grande enquête, aucune grosse épiphanie qui vous fera percuter que vous, nous, avons un rôle, une responsabilité dans ce merdier.
La vérité est que cet arrangement, confortable, bien que puant, nous l’avons voulu. Et nous l’entretenons.
Alors, certes, je le dis : on vous prend pour des cons.
Mais, avouez : vous adorez ça…
(Image à la une issue de Transmetropolitan)
Il y a du vrai dans ce que tu dis. Mais je ne peux pas m’empêcher de penser que tu touches une ou deux fois au vrai problème de l’info sans aller vraiment au fond des choses (oui, je fais des allusions sexuelles sans le faire exprès; question de formation): l’information, c’est devenu une marchandise, voire un produit d’appel pour vendre de la pub.
À partir du moment où tu n’écris plus de l’information pour, précisément, informer, mais pour vendre des trucs. tu vas faire de la merde.
C’est clair, mais je pensais que ça transpirais sur l’idée de base : la question de la rentabilité (avec ou sans pub, en plus) est au coeur du processus. Parce que j’ai vu des rentas se faire sans monétisation, juste sur le branding. Ce qui compte, c’est le partage. Qu’on parle, parle de la marque.
Cela dit, je te rejoins : on pourrait dédier un billet entier à la question, en découpant justement ce qu’on peut y voir ^^