« Vous devez comprendre que les moteurs de recherche, comme Google, ont des systèmes qui leur permettent de déterminer la qualité et la pertinence d’un site. »
Cette partie technique risque d’être nébuleuse pour les jeunes esprits. Ne voulant réellement pas aller au tableau pour éviter toute relation professorale et perdre l’attention de son public, Lucie décide de se redresser, et d’entamer les cent pas face aux élèves. Avec une gestuelle appropriée, et le « plongement de regard qui va bien », elle tente de garder au maximum le contact.
« Bon, ouvrez grandes vos oreilles, on va tenter d’aller au plus simple, et au moins chiant. Vous avez un site qui propose les sujets du Bac à l’avance. Vous voulez qu’il y ait un maximum de visiteurs, et vous voulez que ces visiteurs achètent les sujets du Bac.
— Heu… Miss Duval, commence le professeur avec un air paniqué. Il ne faudrait peut-être pas les inciter à…
— Tssk, tssk ! Détendez-vous, avant qu’ils n’aient les sujets du Bac, on a de la marge ! Je disais donc. Vous voulez vendre ces trucs. Pour vendre, il vous faut une audience, du trafic. Et pour avoir du trafic, il vous faut de la visibilité. Les moteurs de recherche sont là pour ça. Quand quelqu’un tape « sujets du Bac 2022 », il doit tomber sur votre site. Comment faire ? En améliorant le code de vos pages, et le contenu de celles-ci. C’est là que j’interviens.
— Votre boulot, c’est juste de faire en sorte que les sites soient sur Google ?
— Non, mais au début, je le croyais. » Rit la jeune femme, en laissant une courte pause s’installer.
« Rédacteur Web, poursuit Lucie. C’est vaste, vous savez… Et ça ne veut pas dire grand-chose. Durant mon stage, j’ai donc vu un des aspects du métier. J’ai rédigé ce que l’on appelle des « CP ». Des « Communiqués de Presse ». C’est une déformation de mots, franchement. Parce qu’on ne s’adresse pas du tout à la Presse en fait. En réalité, les CP sont de courts textes, publiés sur d’obscurs sites de CP. Cette pratique, très répandue à l’époque, n’est plus guère d’usage, car Google s’est mis à traquer ces textes. Mais qu’importe, lors de mon stage, ça faisait encore fureur. L’idée est simple : votre client Coca-Cola veut se faire connaître… »
Mauvais exemple, Lucie ! Les élèves pouffent de rire à présent. Forcément, dire qu’il faut aider le géant Coca à se faire connaître, ça fait marrer tout l’monde. Elle aurait dû prendre Jacquie et Michel, avec un peu de chance, ils auraient retenu l’anecdote. Tant pis, elle n’a plus qu’à continuer.
« Bon, Coca veut faire connaître sa nouvelle bouteille. Il va donc communiquer sur plein de supports. Pour la Rédactrice Web, son travail sera, entre autres, de rédiger des CP avec des mots-clefs. C’est-à-dire : des mots recherchés potentiellement par les utilisateurs de moteurs de recherche. En gros, on fait un billet avec des mots comme « Coca-Cola », évidemment… Mais aussi « Nouveau produit Coca-Cola », « Nouvelle recette de Coca-Cola », etc. On met un lien vers le site, sur la page produit en question, et on publie ça.
— Ça sert à quoi si personne ne lit réellement ?
— À faire comprendre aux moteurs de recherche que ça existe, qu’on en parle, de quoi ça parle, où trouver l’information (via le lien) en rapport avec le texte publié.
— Vous avez vraiment écrit pour Coca-Cola ? demande naïvement une brune.
— Non. J’ai travaillé pour des PME, des entreprises de mode, des hôtels… Bref, j’ai écrit sur énormément de thématiques différentes. Et je tentais de le faire de façon intéressante. En fait, j’aimais m’imaginer que cela pouvait être lu par quelqu’un de réel, et que j’avais intérêt à soigner le style un minimum – idée folle pour l’époque.
— Vous avez dû vous faire chier… murmure pratiquement un élève.
— Jonathan ! Surveille ton langage ! gronde l’enseignant, faisant baisser la tête du garçon.
— Pour te répondre, non. Au contraire. Comme théoriquement les CP ne sont pas lus, je pouvais me faire plaisir. Je respectais les standards, mais cherchais à rendre mes textes intéressants. C’était frustrant, je l’admets, de voir que cela ne semblait n’avoir aucune importance. Mais j’étais convaincue que l’avenir me donnerait raison sur la qualité des contenus !
— En fait, on vous demandait juste de trouver le moyen d’emballer un lien, c’est ça ? comprend une jeune fille, le stylo dans la bouche. »
Lucie éclate de rire, dit comme ça, ce n’est plus très reluisant. Mais est-ce réellement faux, finalement ? Se penchant en avant, dans un sourire de conspiratrice, elle répond :
« C’est exactement ça. Ou du moins, je le percevais comme tel. On me demandait de faire entre 250 et 350 mots, de mettre les formes – en balises HTML – sur les titres, sous-titres, et liens. Et basta. J’aurais presque pu écrire n’importe quoi, des mots sans sens, dans tous les sens, que cela aurait eu le même impact. Des experts du milieu s’y étaient d’ailleurs amusés pour tester. Mais est-ce vraiment surprenant ? Non, des robots nous lisent… Ou plutôt, nous lisaient, et les robots se moquent du sens. C’est ce qui se murmurait du moins.
— Ca a changé ? Vraiment ?
— Oui. Google s’est mis à traquer et à pénaliser les sites avec de mauvais contenus.
— Vous aviez raison, alors !
— Vous n’avez même pas idée d’à quel point… » ricane la Rédactrice.
Les contenus n’ont aucune importance
Trois semaines de CP. Réellement. Oh, j’ai bien rédigé quelques articles pour un blog client, évidemment. D’ailleurs, j’ai réussi à placer un article sur Game of Thrones pour un client sérieux. Comme quoi… Tout est possible !
Mais les CP n’étaient déjà plus trop pratiqués lorsque j’ai fait mon stage. Et pour cause ! Google commençait déjà à en avoir marre des usines à liens, et des annuaires avec de faux contenus. A l’époque, déjà, j’étais persuadée que si l’on écrivait comme si on nous lisait, le texte serait plus naturel, et remonterait mieux. On m’avait expliqué (par le biais d’une Rédactrice Pro, et d’un Consultant SEO) que Google aimait ce qui semblait naturel. Alors, forcément, le procédé du CP me paraissait complètement anachronique et inutile. Déjà, des textes de 300 mots… C’est assez ridicule selon le sujet. Mais il n’y a – après tout – aucune loi qui interdit de faire court.
En revanche, il y en a une qui devrait être mise en place : une loi contre les textes « robotiques ». Je dis que l’erreur du CP est toujours commise, car, quand on lit certains textes, pages « à propos », et autres, on a l’impression de lire un gloubi-boulga markété qui aurait pu être rédigé par un bot. D’ailleurs, ça se fait tellement de plus en plus qu’il va être urgent pour nous, Rédacteurs, de montrer qu’il y a un humain derrière. C’est peut-être pour ça que le « storytelling » fait fureur en ce moment ?
Et c’est LÀ le gros challenge du Rédacteur Web : attirer le lecteur ne suffit pas/plus. Il faut qu’il se passe quelque chose. Google force plus ou moins les sites à rétro-pédaler et à proposer à nouveau des pages de qualité. Et l’importance des réseaux sociaux dans le processus de partage et de visibilité des blogs oblige, là aussi, à tenter de créer une véritable émotion. Sans dire que le Référencement Naturel à l’ancienne est obsolète, je pense qu’il y a une trop forte demande de lecture intéressante pour que l’on continue à donner autant de proportion aux contenus pour Google. A mon avis, on n’a pas fini de se poser la question…
Dans l’épisode suivant, on va creuser cette histoire de qualité de contenus. Toujours de façon chronologique, on verra que pour moi Lucie, cette question s’est posée bien vite !
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