L’orgueil de la virgule

C’est une conversation avec l’un des pontes de la Rédaction Web qui m’a déclenché cette triste réflexion. Pourtant, de prime abord, l’on pourrait penser que converser avec une personne que je respecte m’aurait apporté un peu de cirage au cul. Raté, l’effet a été tout l’inverse. Et pourtant, j’avais tout pour bander un coup.

Déjà, je redécouvre 4h18, et le plaisir de le lire. Je redécouvre combien je ne suis pas la seule à refuser le fascisme du Web et son uniformité. Avec sa touche personnelle, balises et H2 d’usages, 4h18 t’explique qu’il est temps d’en finir avec ces conneries de #SEOman. Je souligne et partage mon enthousiasme face à une telle prise de position – sur Twitter, évidemment – et VLAN. Kiki ki me parle ? La star en question. Kiki ki kikitoutdur ? La scribouillarde.

Approcher la lumière, ça te fait pas briller !

Au contraire. De base, on se dit tous « Si quelqu’un d’influent que je respecte me parle et valide mes idées foireuses, c’est que j’ai du potentiel. » Ouais, ouais, je croyais aussi réagir comme ça.

Non, parce que le Monsieur en question, non seulement il dit des trucs intelligents (que je vous invite vivement à lire d’ailleurs, que vous soyez du milieu ou non), mais en plus, nous semblons d’accord. C’est juste magique. Une telle osmose intellectuelle, ça vaut tous les pourcentages d’affinité de Meetic, non ?

Bah non. Pas vraiment. Parce qu’au fur et à mesure de la conversation, 4h18 semble vouloir me rencontrer. Serais-je présente au salon des Entrepreneurs ? Négatif, j’ai rien à y faire, j’suis plus dans l’métier, et j’ai jamais été dans l’coup d’toutes manières. Est-ce qu’on peut s’appeler au tel, histoire de reprendre la discussion ? Bordel de merde, c’est flatteur, mais ça fait peur.

Attends, mais qu’est-ce que tu me chantes-là ? Tu d’vrais déjà être en train de te la péter un max !

Eh non. Parce que soudainement, une drôle de sensation m’étreint. Je me sens indigne de cet emballement. J’ai vite envie de lui dire « Non, mais arrêtes tes conneries, j’suis qu’une pauvre fille qui passe son temps à cracher du vitriol et à refuser le Diktat du 300 mots avec titre mensonger, coco… »
Parce que, voyez-vous, moi qui suis sujette au complexe divin des guillemets, j’ai comme qui dirait eu l’impression de n’être que le bouseux du Web.

J’ai pas l’esprit de compétition, mais j’aime quand même écraser les cons

Il y a peu, j’ai découvert avec stupeur (zé tremblements) que moi qui me croyais suprêmement au-dessus de toute considération de rivalités, j’apprenais que j’étais au contraire, particulièrement pugnace. Ouais, c’est vrai, j’aime pas faire de HL sur Heroes of the Storm. Mais j’adore « apprendre la vie à une NovaNoob », tout comme j’adore « apprendre la vie aux cons ». Et j’suis féroce en prime.

J’veux qu’tout l’monde sache à quel point j’suis intelligente, et à quel point ma répartie est digne des meilleures punchlines trouvables dans les bouquins aux chiottes. Et j’en fais un sport, violent, méchant, cynique, mais dont je tire un plaisir particulièrement malsain qui me fait dire que je suis quand même une sacrée connasse.

Le truc, c’est que c’est un vieux mécanisme chez moi. A croire que prendre la plume ou le clavier, te fait illico presto croire que tu es supérieur à la Plèbe. Faut dire que la populace qui s’éclate en 140 signes n’a guère de temps à accorder à la lecture d’un bête paragraphe. Et ne parlons pas de la prise de parole en dehors des images de bébés chiens !
Avec moi, le « Je pense, donc je suis » de Descartes, se transforme en « J’écris, pour que tu sois ». Et c’est limite avec condescendance que je propose ma pensée et mon univers, comme un bon Prince qui accepterait de faire manger les gueux à sa table. Non, mais attends, mec, comprends-moi : j’fais l’effort d’aligner sujet-verbe-complément, c’est digne d’un prix Hugo !

En résulte un orgueil hallucinant, nourrit chaque jour par une auto-flatterie dès lors que je daigne écrire un minimum. Ah, j’me sens tellement incroyable à côté du dernier statut Facebook de Kevina !

Rien ne vaut un bon correcteur…

Et c’est là que le drame survient. Parce qu’une fois que tu t’imagines être digne de louanges des plus grands intellectuels, lorsque tu fais face à un pro qui lui, ne se lustre pas la pine, mais gagne bien sa croûte… Comment te dire… ? Tu te rends compte que là où toi tu ne fais que baver sur cette hypothèse, lui la concrétise. Et tu t’prends comme un retour de Bescherelle dans la gueule : tu te sens usurpateur.

T’as presque envie de hurler à tout le monde que tu mystifies, que tu sais emballer, mais que le fond est creux. Que tu brasses de l’air sans jamais respirer. Bref, que t’es le ventilateur de la syntaxe.

Parce que se pose à moi un sacré problème : qu’est-ce que je vais dire à ce mec ? Vais-je faire ma « pute à frange » et planquer mon blog vomitif où j’t’explique en long en large et en travers combien je hais tout et que j’adore haïr ? Vais-je lui confesser que si j’suis plus membre du club, c’est parce que j’ai claqué la porte en traitant tout l’monde de collabo ? Ah, j’ai l’air maligne maintenant… Et moi qui suis bavarde, l’idée de parler ne m’a jamais autant impressionnée. 4H18 qui te parle, c’est la dure réalité qui s’adresse à toi.

Et la conclusion qui en découle, est sans appel : je me rêvais Hunter S. Thompson, hélas, je ne suis que le Morandini de mes contacts.

Un an plus tard…

Camille Gillet Écrit par :

Auteure - Storyteller freelance "Makes the world a Market Place"

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