Episode Final – L’Homme de Vitruve

Oups ! Bientôt midi, remarque Lucie. Ce n’est pas tant la pendule qui le lui signale, que son estomac qui gargouille à n’en plus finir. Elle s’étire paresseusement, en faisant craquer son dos, devant les mines dégoûtées des élèves pas franchement ravis de savoir que la position assise quotidienne fait partie de ses problèmes. Bah quoi, on lui avait demandé de faire une présentation complète, non ?

« Finalement, ce qui fait qu’un métier est intéressant dépend d’un certain nombre de facteurs. La raison pour laquelle vous faites ce métier, la rémunération, les conditions de travail… Mais la principale raison pour laquelle je suis Rédactrice est la suivante : je ne saurais réellement rien faire d’autre. Je vous le disais en introduction, écrire est une passion pour moi. Une seconde nature. Être Rédacteur, c’est tout autant savoir écrire, que savoir incarner une idée. Parfois, vous allez emprunter le nom d’un client, d’une marque, son style, ses couleurs, et faire croire à vos lecteurs qu’ils sont face à votre client. À l’aide de votre costume, de votre texte, et du décor, vous jouez une pièce numérique qui sera là pour divertir, émouvoir, et justifier le ticket d’entrée. En définitive, le Rédacteur Web s’incarne dans chacun de ses mots, même lorsqu’il se cache derrière un persona. Ce qui fait un bon scribouillard est simple : il sait qu’il se met à nu, malgré le maquillage, et que le véritable client est le lecteur. Le Rédacteur, ou le lecteur, sont avant tout des individus qu’on ne doit pas prendre pour des cons. »

C’est hochement de tête qui accueille cette tirade. Les visages sont songeurs, et même le Professeur semble perdu dans une réflexion intense. Lucie ne sait guère comment terminer la présentation de son métier. Que pourrait-elle dire ? Est-elle réellement là pour les motiver à emprunter la même voie ? Finalement, la solution apparaît sous la forme d’une question :

« Ce que vous dites, en fait, c’est que vous ne produisez pas. Votre métier n’est pas d’écrire, il est de tisser un lien avec les autres, c’est ça ?

— C’est exact. Même si les obligations du SEO font que l’on pourrait être tenté de croire que l’on écrit pour les robots, il y a aura toujours, à un moment donné, une personne au bout de la phrase qui attendra quelque chose de votre part. A l’origine, Internet s’est fondé sur une utopie merveilleuse : celle du partage de la connaissance à échelle internationale. Comme tout rêve, il a été pris en otage par l’argent. Mais la vocation d’Internet, du Web, sera toujours l’échange entre les hommes. Le Rédacteur a un grand pouvoir entre les mains. Et peu s’en rendent compte. Il a le pouvoir d’influer sur la communication des sociétés, de partager de vraies ou fausses informations. A son échelle, l’impact est énorme sur son microcosme et son lectorat. Et vous savez ce qu’Oncle Ben pense des grands pouvoirs… ?

— Oncle Bens, vous voulez dire. Le truc du riz, non ? répond un blond au visage lunaire.

— Mais pas du tout ! rétorque l’élève-Avengers. T’es con, elle parle de l’oncle de Spiderman ! C’est bien ça, hein ?

— Oui, mais apparemment, t’es le seul à avoir compris. Bon. Dans le film, il dit « Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. » Ce que je veux dire en reprenant cette phrase hautement intellectuelle, c’est que si le Rédacteur n’éprouve aucun respect pour le texte qu’il écrit, il est obligé d’en avoir pour le lecteur. Ce qu’il va mettre dans le papier peut avoir un impact – positif ou négatif – sur la personne qui lit. Le Rédacteur Web, quel que soit son degré d’intégrité, ou sa passion, ne peut pas faire l’impasse sur l’Humain. Cela lui est impossible, même lorsque que son conglomérat de mots est profondément stupide. L’Humain interviendra toujours, ne serait-ce qu’à la fin. Il est et restera le centre de gravité de tout ce mécanisme.

— On en revient toujours à l’Humain, et à son importance dans son univers. C’est sur l’Homme que se bâtissent les édifices, les idées, sociétés, ou même l’argent.  »  souffle une étudiante avec une grosse frange brune qui lui mange ses yeux cerclés de noir.

La réflexion de la jeune gothique fait lever un des sourcils de la Rédactrice. Elle sourit, et, juste avant que la sonnerie retentisse pour enfin libérer les élèves, elle conclut :

« Oui. De Vinci et Vitruve l’avaient très bien exprimé il y a des siècles. »

 

 

FIN

 


De l’importance de ne pas oublier l’Humain

 

Et voici donc la conclusion de cette série. Mais également la première conclusion que j’ai tirée. On aura beau envelopper le métier d’un nombre incalculable des concepts, d’obligations, de mots anglophones, le Rédacteur est là pour le lecteur, et inversement.

Ce qui se passe entre un Rédac’ et son client n’a aucun intérêt. Peu importe le prix de la prestation ou la bonne entente entre eux. Ce qui est réellement important, qui relève pratiquement de l’intime, c’est le lien qui se crée momentanément entre l’écrivain et son « public ».

Je pense que pour être un bon Rédacteur Web, il faut – quelle que soit la qualité du texte demandé, la probabilité d’être lu, ou les couches intermédiaires – écrire non pas pour celui qui paie, mais pour celui qui lit.

A partir du moment où on bâtit son texte autour de son lecteur. On va lui proposer quelque chose qui lui conviendra à lui. Le texte parfait n’est pas le plus intelligent, ou le plus drôle. C’est celui qui est le plus approprié.

Et sur cette réflexion hautement philosophique, je tire ma révérence !

Merci à celles et ceux qui auront suivi cette série chaque semaine, auront réagi et partagé. Merci également à ceux qui liront par la suite !

Camille Gillet Écrit par :

Auteure - Storyteller freelance "Makes the world a Market Place"

8 Comments

  1. Marie Jaouen
    13 octobre 2016
    Reply

    Série très intéressante et agréable à lire, merci 😉

    • 13 octobre 2016
      Reply

      Hey, merci !

      Peu de personnes la lisent, c’est marrant. Bon, je ne la mets pas en valeur, et ça viendra cette année sur un autre site qui sera dédié à ces questions plus « sérieuses » de la rédaction. Merci du coup de me l’avoir dit, ça fait plaisir à lire !

  2. SARAH kayits
    27 octobre 2016
    Reply

    Un régal cette petite série! Je découvre le blog par la même occasion, chouette!

    • 27 octobre 2016
      Reply

      Hello !

      Peu la lisent (d’où son « archivage » sauvage en attendant la migration vers un autre site), et ça me fait bien plaisir qu’elle puisse plaire quand même ! Merci d’avoir pris ce temps et d’avoir laissé un message, ça fait chaud au coeur ^^

  3. Périne Coulleit
    9 novembre 2018
    Reply

    Bonjour Camille,
    Une petite série passionnante pour la rédactrice néophyte que je suis. J’ai beaucoup aimé ce côté irrévérencieux qui rend la lecture encore plus intéressante 🙂 Voilà qui me donne très envie de découvrir le reste de ton blog et j’y vais de ce pas!

    • 9 novembre 2018
      Reply

      Bonjour Périne !

      Merci beaucoup d’avoir eu la curiosité de lire et l’envie de laisser un commentaire. J’espérais à l’époque pouvoir expliquer une partie de mon expérience et permettre de déblayer deux-trois choses du métier. Une saison 2 peut-être plus nuancée sur certains points ne serait pas superflue, mais je n’arrive pas à trouver le temps.
      Le reste du blog est parfois plus trash, parfois plus sérieux. Ca va dépendre du sujet, de l’angle utilisé pour le traiter, et de l’époque où je l’écris. J’ai fait pas mal de chemin entre le lancement de PE et aujourd’hui.

      En tous les cas, merci encore et bienvenue 🙂

  4. Cloé
    14 décembre 2018
    Reply

    OK. J’avoue. Je suis arrivée sur ton blog par ton article « je ne suis pas une pute ».
    Non pas que je puisse concourir au mot-clé le plus pourri ayant amené un internaute ici (oui, celui-ci aussi je l’ai lu du coup). Je cherchais juste à savoir quel type de mission on peut donner à un rédacteur qui écrit à peine le français correctement. C’est pour un exo de ma formation en rédaction. J’ai pas trouvé de réponse à cette question mais j’ai découvert un chouette blog dont j’aime beaucoup le ton. J’en avais marre de la bouillasse maintes fois retournée que l’on retrouve sur bien des blogs sur la rédaction / copywriting. J’adhère à la team « arrêtons de prendre les lecteurs pour des cons et parlons vrai !“

    • 15 décembre 2018
      Reply

      Ah, j’ai la réponse à ma question précédente, alors.

      Pour la réponse que tu cherches, tu peux lui demander autant de textes à la con que tu veux, si t’as un réseau de sites qui pousse bien derrière niveau Backlink, c’est pas bien grave. Le crade en rédac’ existe toujours, certains SEO arrivent à s’en dépatouiller sans problème. Et puis… Tous les possesseurs de sites Web ne parlent pas un Français cohérent non plus. Certains sont bel et bien natifs dans la langue et à moitié analphabètes, ça ne les empêche pas de faire des textes.

      Pour limiter les dégâts, le mieux reste encore de faire remplir des fiches-produits en caractéristiques pures. En revanche, si t’as l’intention de vendre avec ces FP, tu peux oublier.

      Bizarre ton exercice, quand même.

      Merci pour le ton du blog. J’ai bien un truc plus mainstream qui explique plus sérieusement deux-trois choses sur le métier, mais j’ai pas la réponse à ta question dessus, alors on va éviter la promo. Excellente continuation à toi !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.