Aller je commence fort avec un titre accrocheur, presque putaclics. Mais la question est viable. D’autant plus si l’on se renseigne un peu sur les raisons qui ont poussé Google à pondre AMP.
AMP c’est quoi ?
Si vous vivez dans une grotte et que vous n’avez pas encore lu la flopée d’articles florissants sur le Web depuis quelques semaines sur Google AMP, je vous invite à vous renseigner.
Vous pouvez aussi lire la FAQ publiée sur le site AMPProject, c’est très instructif.
TL;DR : AMP ou Accelerated Mobile Pages, c’est techniquement une variation du html classique, tel que nous le connaissons. Google s’est basé sur une technologie open source : celle qui régit l’affichage de la grande majorité du Web pour produire sa propre version de cette même techno.
In fine, le but c’est d’accélérer le Web mobile. Cette technologie va optimiser ou carrément supprimer, selon les cas, les morceaux de codes (essentiellement du javascript) qui ralentissent le chargement des pages. But louable, quand on connait les différentes luttes de pouvoir de ces derniers mois entre Google, Apple et Facebook.
Web mobile : L’approche Facebook / Apple
Pour mieux cerner la démarche de Google, il faut comprendre la problématique actuelle à laquelle ces géants essaient de répondre, et comprendre également leur réponse.
La problématique naît à l’origine du monde de l’édition. Les utilisateurs de mobiles, las d’attendre des plombes pour afficher un article ont eu tôt fait de :
- soit carrément lire de moins en moins d’articles sur leurs mobiles
- soit utiliser des ad-blockers pour améliorer nettement le temps de chargement de leurs pages
En résulte une perte de revenus énorme pour les éditeurs et la mise en péril du secteur.
C’est là qu’entrent en jeu Facebook et Apple, avec leurs applications respectives : Facebook Instant Articles et Apple News. Ces applications FERMÉES promettent monts et merveilles aux éditeurs de contenus :
» On a une méchante appli bien responsive qui charge vos contenus 10 fois plus vite que n’importe quel navigateur. En plus on vous fait gagner des sous via les pubs. Certes comme il s’agit de NOS pubs gérées par NOS serveurs, on se fait des couilles en or grâce à VOS contenus, mais ça vous permet au moins de survivre encore un peu.
Bon par contre, votre contenu est aussi sur nos serveurs, donc il peut lui arriver n’importe quoi. Vous n’avez plus de droit de regard. Mais qui s’en plaint ? Au moins il se charge ! LOL «
Si à la lecture de ces mots vous ne l’aviez pas compris, en tant qu’amoureux de l’open Web, je suis scandalisé par cette démarche. Facebook et Apple ont mis le paquet coté marketing pour vendre leurs solutions propriétaires (ou système de boites noires).
Mais pour quiconque y voit un peu clair, il ne s’agit pas tant d’avoir un Web mobile plus rapide, que d’empocher plein de sous avec des contenus créés par d’autres sur ses propres serveurs. Apple/Facebook s’octroient le contrôle total : de la monétisation aux formats utilisés – se réservant au passage le droit d’accepter ou de refuser un éditeur sur leurs plateformes. Bref : C’est le MAL !
Heureusement Google arrive avec AMP !
Heureusement ? Possible.
Désintéressé ? Pas tout à fait.
Rappelons que le terrain de jeu de Google c’est l’open Web. Qui dit « solutions propriétaires », dit « fermé à Google ». Ces contenus ne figureront pas dans son index et il pourra encore moins y vendre de la publicité. Et ça, notre mastodonte dévoué à la cause de la liberté sur les Internets l’a bien compris ! AMP ce n’est pas tant une démarche altruiste, qu’un réflexe de survie face à une concurrence qui voudrait lui faire perdre du pouvoir.
Donc Google se pointe avec sa solution Open Source, et bam ! La toile s’enflamme ! Vive Google ! Houra Google ! La majorité des articles qu’on peut lire à ce sujet sont soit neutres, soit (très / trop) largement enthousiastes.
Déjà effectivement, la solution est ouverte. Son code est libre d’accès, d’ailleurs on peut le retrouver sur GitHub. Soit. C’est bien. Très bien même. On ne peut qu’acclamer cette décision digne de louanges.
En revanche, il ne faut pas perdre de vue que code libre ne veut pas forcément dire que Google n’a plus droit de regard sur son bébé. En effet, même si tous les développeurs du monde peuvent prendre part à ce projet d’ampleur, seul Google choisira au final les contributions qui seront bel et bien ajoutées au projet. Google garde les rênes.
AMP c’est rapide !
Très rapide même. En délayant le javascript et les images après le texte, les pages peuvent charger 15 à 85% plus vite. Et le plus beau c’est que Google affirme ne pas favoriser dans Google News les sites qui adopteront AMP. Et c’est vrai !
Sauf que c’est oublier que le temps de chargement d’une page est – depuis bien 5 ans – l’un des facteurs prioritaires de classement d’une page dans l’algo de notre petit cachottier. Certes au départ ce facteur était mineur. Mais avec ces problématiques grandissantes de chargement il a pris de plus en plus de poids dans le classement d’une page. Si bien qu’aujourd’hui, quel éditeur peut délibérément cracher sur une réduction de 85% de sa vitesse d’affichage ?
Vous voyez où je veux en venir ?
AMP et le Web mobile
On nous emmerde avec le responsive design depuis des années. C’est THE best practice quand on en vient à parler du mobile. C’est même Google qui le dit ! Le responsive Web design (RWD pour les amateurs d’acronymes) c’est servir le même contenu html à un utilisateur, et ensuite restyler les éléments pour qu’ils s’adaptent à la largeur de son écran. En vulgarisé, on affiche le même html, la même structure, mais des css, des stylages différents.
Par opposition au dynamic serving qui détecte d’abord votre device et vous sert un html différent, selon que vous naviguiez sur une tablette, un smartphone, un pc, une télé ou que sais-je encore… (ce qui, si c’était mal géré, pouvait créer pas mal de soucis, notamment d’un point de vue SEO).
Et dans ce contexte, AMP arrive comme un cheveu sur la soupe. Techniquement il oblige les développeurs à créer deux versions d’une même page Web. Une version html et une version amp html. Pour les SEO, pas de panique, il y a une balise pour ça :
<link rel="amphtml" href="urldevotrepage/amp/" />
En revanche d’un point de vue technique, deux versions d’une même page, outre le coût (développement, serveurs, volumes de données qui passent du simple au double…), c’est un vrai rétropédalage et un aveu d’échec du responsive Web design en bonne et due forme.
AMP c’est une bonne réponse aux ad-blockers
En réduisant le temps de chargement des pages, et en reléguant le javascript (responsable des publicités et des scripts de tracking) après le chargement de la page, le contenu redevient accessible ! Les utilisateurs et les concepteurs de ces logiciels vont sûrement revoir leurs philosophies sur la publicité et son blocage. Problème résolu !
Oui, mais qui détient Doubleclick, l’une des plus grosses solutions publicitaires au monde et tête de liste des services responsables de ce désastre ? Vous l’avez deviné. C’est Google.
» It’s strange that Google is making this about speed when the No. 1 culprit of slow pages is the very ad serving tech that Google offers. […] It’s strange that they’re not fixing it from that angle but instead trying to basically fork HTML. » – Patrick Thornton, directeur de produits digitaux au Washingtonian Magazine.
» Il est étrange que Google fasse ceci au sujet de la vitesse lorsque le coupable n ° 1 de la lenteur des pages est la technologie d’ad-serving que Google propose. […] C’est étrange qu’ils ne solutionnent pas le problème sous cet angle plutôt que de créer un embranchement au HTML. » – Patrick Thornton, toujours directeur de produits digitaux au Washingtonian Magazine.
A ce jour d’ailleurs, même si AMP ne semble pas favoriser un service publicitaire plutôt qu’un autre, rien n’indique que les utilisateurs ne seront pas subtilement incités à utiliser les réseaux publicitaires et d’analyse de Google.
Conclusion, car il en faut une …
Si aujourd’hui AMP reste, à mon avis, la meilleure alternative possible, aux solutions propriétaires de Facebook d’Apple, elle n’en est pas moins dangereusement trouble. Surtout dans un contexte où Google jette aux oubliettes sa doctrine séculaire « don’t be evil » pour un « do the right thing ». Moins vertueux.
La guerre des géants de l’Internet fait toujours rage et les éditeurs se retrouvent piégés au milieu des tirs croisés. Bien qu’il soit trop tôt pour juger avec certitude les tenants et les aboutissants, je vous laisserai avec cette énigmatique question finale :
Entre deux maux, doit-on choisir le moindre ?
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