La passion des mots, l’amour des histoires, le plaisir de la musique et l’orgueil des émotions. Tout commence en général de là, ou du moins, d’après ce qu’on lit sur chaque présentation de tout rédac’ qui se respecte. Le rédacteur web est l’auteur qui rêve de lettres, parfois celui qui l’est déjà, mais il est invariablement celui qui se ment pour survivre.
Chaque fois qu’un numéro de Siret est attribué, c’est toute une bibliographie avortée.
Chaque page « à propos » de rédac’ qui se crée, c’est un auteur qui se demande s’il n’aurait pas mieux valu se briser les doigts… Ou qui craint, justement, de ne l’avoir fait.
En l’espace de quatre jours, deux rédactrices web sont venues à moi avec notamment cette idée au bout du clavier : est-ce que, finalement, la rédaction web ne tuerait pas l’écrivain que nous sommes ?
Et ma réponse est simple :
NO SHIT, SHERLOCK ?!
Il ne faut pas aimer écrire pour être rédacteur web
Les articles qui vous expliquent ce qu’il faut être pour être un bon rédac’ ne manquent certes pas, mais réussissent le tour de force de remâcher les mêmes conneries :
« Blablabla GrammarNazi… blablabla passion des mots… blablabla expertise SEO… blablabla Digital Nomad. »
Et au milieu, c’est du remplissage, souvent mal écrit, destiné à faire ranker quelque chose de désespérément inutile.
En d’autres termes : « au milieu, c’est le cœur du métier. »
Parce qu’effectivement, ce dernier ne demande pas d’aimer écrire – ni de savoir bien le faire ! Être rédacteur web n’a rien à voir avec de la littérature et personne ne vous demande de style, de vocabulaire ou de sens de la narration.
Personne qui a compris ce qu’est le métier, eh.
Un rédacteur web n’est en réalité qu’un exécutant qui va appliquer une recette, produisant ainsi le résultat commandé par le client. Ce n’est même pas un cuisinier la plupart du temps, mais un commis de cuisine. On ne lui demande pas d’inventer de nouveaux plats.
Et cette réalité est ce qui va blesser l’égo des auteurs/journalistes en herbe.
Parce qu’on leur vend un métier basé finalement sur tout autre chose !
Eh oui, on raconte le sens du verbe, on vend la passion des mots, en taisant la réalité : celle qui veut que le rédac’ va surtout utiliser ceux requis par des solutions d’optimisation sémantique.
- NON, être rédacteur web ce n’est pas avoir du vocabulaire, c’est savoir quand placer celui de la liste donnée.
- NON, être rédacteur web ce n’est pas faire preuve d’originalité, c’est se conforter à une norme dictée par une prophétie autoréalisatrice.
Parce que tout unique que se doit d’être votre contenu, il va ranker parce que Google pense que si CA ça ranke, alors vous devez faire CA. Pas cela. CA. De préférence en mieux, quand même.
Remisez donc vos « écrivant depuis ma plus tendre enfance », parce que Google et vos clients s’en tamponnent les serps avec un algorithme. Personne ne vous demande de créer, on s’attend à ce que vous soyez capables de copier.
Pourquoi diable croyez-vous qu’une des citations qui tourne le plus dans ce milieu soit celle de Picasso, eh ?
« Les bons artistes copient, les grands artistes volent. »
La rédaction web n’est pas de l’écriture, mais de la (re)production de contenus.
Si vous voulez jouer avec la narration, devenez storyteller ; avec les mots, soyez copywriter ; si vous voulez écrire, devenez écrivain.
Ca claque moins que la citation de l’autre cubiste, mais elle vous sera autrement plus utile.
Dissonance et promesse non tenue
Parmi les deux rédac’s qui m’ont parlé de ce conflit interne, une d’elles m’a demandé pourquoi en faisant du texte à la chaîne on perdait le goût d’écrire.
J’imagine qu’une personne rêvant d’être le prochain Ducasse et qui travaillerait à McDonald’s aurait du mal à se motiver pour élaborer de grands plats en rentrant chez lui le soir.
La lassitude des mots et des tournures de phrases toutes faites existe ! Mais il y a aussi la perte de confiance en soi.
Perte de confiance parce que devoir réprimer son « talent » entraîne une frustration, une perte d’entraînement, et un doute insidieux. Est-ce que, finalement, si on écrit autant de merde facilement ça ne voudrait pas dire qu’on ne sait faire que ça ?
Dire à quelqu’un qui aime écrire que la rédaction web est DE FAIT sa vocation, c’est lui promettre qu’il pourra développer sa passion.
C’est comme promettre à une personne en mal d’amour d’être celle qui va « l’aimer à sa juste valeur », et démontrer que ça se cantonne à trois bisous dans la semaine et une saillie dans le mois.
À la fin, n’importe qui perd l’appétit, l’intérêt, et pire : l’assurance.
C’est totalement logique que ce métier vampirise une discipline qui demande entraînement, créativité, liberté et nourriture intellectuelle !
- QUI progresse en pissant 10k signes jour sur le CBD ?
- QUI apprend en terminant un chapô sur deux par « zoom sur » ou « focus sur » ?
- QUI développe son vocabulaire – et donc ses pensées – avec un corpus de mots sélectionnés par des robots ?
- QUI se nourrit intellectuellement en lisant 10 articles par jour promettant tout autant de « tips trop ouf qui vous vous amazer le mindset et vous increase votre business » ?
La valeur apportée aux contenus, l’argent facile qu’on se fait en écrivant n’importe quoi, le temps que cela requiert et l’engrenage que cela crée, tout ceci participe de ce qui vous tire, le soir, une fois que vous avez envie d’écrire, un énorme soupir, accompagné d’un dramatique :
« À quoi bon ? »
Et même si vous le taisez d’un petit verre de vin digne d’un vrai auteur à succès, ce soupire revient. De plus en plus fréquemment.
De l’importance de reconnaître que ce n’est pas fait pour vous
Vous traînez avec vous beaucoup de choses « depuis votre plus tendre enfance », vous savez ?
Certes, votre « passion folle d’écrire », vous nous l’avez déjà dit partout. Mais surtout, vous traînez l’idée que c’est acceptable de souffrir et que c’est inenvisageable de reconnaître qu’on vous a trompé-e. Voire que vous vous êtes trompé-e.
Rassurez-vous, c’est aussi un biais cognitif, c’est donc difficile de lutter contre. Mais votre cerveau, votre éducation, votre orgueil, votre terrible envie de changer de vie après « le petit dernier » ou « le burnout » vous masquent une réalité :
Vous avez totalement le droit de dire que vous n’aimez pas ça, que vous ne voulez pas faire ce métier comme ça… ou ce métier tout court.
Imprimez ça sur un coucher de soleil pour le mettre aux WCs si ça vous permet de vous le rentrer une bonne fois pour toute dans le crâne !
Ce n’est pas parce que vous allez lire des commentaires ou des articles de gens « parfaits » qui vous racontent être totalement épanouis (et capables) de gérer 50h/jour avec gosses, mari/femme, activité yoga, 50 romans en cours (à lire ou écrire), et le brunch des copines entièrement fait avec du bio local, que c’est vrai.
Et, plus important : que vous êtes obligé-e de vous y conforter.
La copie des serps, c’est pour les contenus. Pas pour les producteurs.
Oué, j’aurais pu tourner ça mieux, mais je suis pressée par le temps, eh !
Alors, ne vous voyez pas comme une page à remplir parfaitement par 1.fr, quitte à tordre des phrases pour utiliser des mots inadéquats.
Voyez-vous comme quelqu’un qui a ses propres aspirations, sa propre voie, et qui la cherche encore.
Si vous souffrez de ce métier, arrêtez-le !
Je termine par un retour personnel
Je n’aime pas le métier de rédacteur web.
Que dis-je ?!
Je méprise le métier de rédacteur web. Vous ne soupçonnez même pas à quel point. J’ai absolument détesté l’exercer comme tel, même si, au tout début, je trouvais ça « facile, marrant, rentable ».
Mais je suis passée de « oh oh oh, on me paie pour écrire n’importe quoi » à « ouin ouin ouin, on me paie pour écrire n’importe quoi ».
- J’ai détesté faire du 1.fr, produire des contenus pour qu’ils rankent et non pour qu’ils soient sexy.
- J’ai détesté faire des articles d’actualité qui ne vérifient rien et qui pompent/brodent juste ceux des autres SEO ou brèves AFP.
- J’ai détesté faire semblant d’écrire « littéraire » pour satisfaire la rétine de personnes qui pensent qu’avec du sucre, tout plat est forcément parfait.
J’en avais même arrêté l’écriture (je rappelle qu’A la Moldue est, à l’origine, un exercice pour renouer avec la narration) !!
Du coup, j’ai arrêté d’être rédactrice web. Tout simplement !
J’ai arrêté la rédaction SEO et j’ai commencé à ne faire que des missions qui m’intéressaient. Et OUI, ça met en grande difficulté financière. Parce que les clients sortent pas comme ça quand on débute dans d’autres choses.
Mais tout ça est un choix. Je l’ai pris. Je ne regrette rien. Je m’éclate, maintenant.
Quand on vient me voir en tant que storyteller pour de la simple rédaction de page « à propos », je rep que si c’est juste pour retranscrire un entretien téléphonique dans un pavé truffé d’adverbes, c’est pas la peine, autant faire appel à un-e rédac’.
Aujourd’hui, je réfléchis au texte. J’analyse une marque et conçois la narration avant de la créer.
Bref, je crée des plats, j’adapte des recettes. Je suis devenue cuisinière.
Et depuis, j’ai sorti un recueil de nouvelles et une trilogie. Je n’ai plus de dissonance entre mon métier et ma passion de l’écriture. J’ai accepté que les deux soient différents, et je choisis mes typologies de missions et de clients.
Bref, j’ai créé ma voie. Je n’ai pas appliqué le parcours type qu’on peut lire sur tous ces articles et formations à la con.
Sortez-vous les doigts et arrêtez de suivre n’importe qui. Vous êtes votre propre influenceur !
Tu n’imagines pas comment cet article résonne (raisonne) en moi ! Je suis en pleine remise en question, c’est d’ailleurs pour ça que j’ai créé Blablamour !
Je suis en train de chercher des solutions pour contourner le problème en continuant à vivre de ma plume
Je comprends tellement ! Sans doute qu’avoir quelque chose à côté te fera du bien et te permettra d’équilibrer un peu tes aspirations. Ou bien tu concevras tout autre chose !
Mais, je pense que tu trouveras en tous les cas.
En attendant : courage, c’est une période vraiment douloureuse en général.
Tout à fait d’accord, c’est d’ailleurs pour ça que beaucoup d’éditeurs de sites conseillent de ne choisir que des niches pour lesquelles on a un minimum d’intérêt, afin d’insuffler un minimum de passion dans les écrits ! Un autre conseil serait peut-être de continuer à écrire « pour soi » sans contraintes de mots-clés à placer tous les 15 mots en parallèle d’articles commandés. Et veiller à garder un certain équilibre.
Je crois que tu as tout dit ! Ce sont les meilleures astuces à la fois pour avoir quelque chose de fluide et une bonne ambiance de travail, et à la fois pour entretenir toutes les plumes. Cet article a permis a pas mal de rédac’ ou anciens rédac’ de parler de ces « hacks » et c’était intéressant de voir leurs profils, justement.
Merci Camille pour cet article et ce petit clin d’œil à mon message de l’autre jour !
C’est sûr qu’à te lire, j’ai la sensation de me réveiller avec une étrange gueule de bois, à la fois violente mais bizarrement apaisante.
De mon côté, je prends le partie de persévérer. Finalement, quand on prend conscience de ce doux mensonge, la pilule est peut-être plus facile à avaler. Au moins, je sais à quoi m’en tenir, et je ne me sens plus l’obligation de prétendre à quoi que ce soit. Je respire !
Hâte de lire tes prochains articles.
Je t’en prie ! J’ai voulu réfléchir plus longuement à cette question et voir ce que je pouvais apporter pour « soulager » un peu. Outre la prise de conscience, comme beaucoup l’ont dit, il y a aussi les moments pour son (sa vraie) écriture qu’on peut dégager et qui offrent un réel équilibre.
Courage, ça vient toujours !
Pour ce qui est des autres articles, tu as plus de chance de me lire sur mon site camillegillet.com qu’ici, en fin de compte ^^’
Merci Camille pour ce texte ! Je commence à entrer dans cette phase de lassitude du métier depuis quelques mois.
Au début, je me forçais mais, à part prendre du retard sur mes deadlines, je n’arrivais à rien. Du coup, j’ai analysé le problème en me demandant ce qui ne me plaisait plus. J’ai fini par limiter mon nombre de missions (et donc d’heures de travail) pour ne garder que celles qui m’intéressaient.
Le processus est encore en cours de mise en place mais j’avoue que ça fait déjà un bien fou !
Je suis très contente de lire ça ! C’est toujours un moment délicat, mais qui, une fois qu’il est dépassé, permet de mieux créer sa propre vision métier.
Mots parfaitement choisis que l’on peut aisément appliquer à tout un tas d’autres métiers biclassés créatifs/marketing (le second se greffe toujours pour le succès -même tout relatif- du premier) <3
Merci beaucoup ! Je ne savais pas que tu lisais mes bafouillages pros, tiens !
Et, effectivement, c’est encore moins drôle quand tu dois prendre ces compétences pour ton métier premier.
Sympa cet article, que je rejoins sur pas mal de points.
J’aimerais toutefois nuancer en disant qu’il existe des missions et des clients qui respectent réellement ce que tu écris et qui n’attendent pas de toi un texte prémaché, sans saveur, pensé pour le SEO. D’ailleurs, les missions qui ont objectif de SEO sont très souvent les moins intéressantes !
En effet, ça existe et on quitte le domaine de la rédaction web pure pour entrer sur du content marketing. Et là, on va parler storytelling, copywriting, etc.
Après, je te dis ça, c’est ma nuance, j’ai tendance à voir la « Rédaction Web » de deux façons : soit un secteur de métier, soit juste la rédaction seo et je ferai alors le distingo avec les autres.
En 7 ans, je n’ai toujours pas tranché sur ma définition, je me laisse encore 7 autres années x’D
(Je ne t’ai même pas remercié : merci !)
Désolée pour la longueur de mon commentaire. En réponse à mon message, tu m’as dit de réfléchir et de trouver la réponse en moi et figures-toi que c’est ce que j’ai fait. Du coup, je me permets de venir livrer ici le résultat de cette introspection, car ma réponse est un peu différente de la tienne. Je ne remets pas en cause ton analyse, je viens juste enrichir le débat avec un autre point de vue, dont je n’ai pas la prétention qu’il soit valable pour un autre profil que le mien.
Commençons par une petite mise en contexte. Je ne suis pas venue à la rédaction web à la suite d’un burn out, ou d’un quelconque désir de changement. Je n’ai découvert tout le discours marketing autour du métier que bien après avoir commencé à rédiger. Je n’ai jamais non plus entretenu d’illusions sur l’absence de caractère littéraire du métier. Je sais que sur les plateformes on vend surtout du temps d’écriture et éventuellement un niveau de français meilleur que celui du client. Je sais que mon principal client ne lit même pas mes articles, mais ça ne me dérange pas (et accessoirement ça me permet d’avoir un plus grande liberté d’écriture). Je n’ai jamais pensé que la rédaction web allait me permettre d’assouvir ma passion de l’écriture comme l’écriture de fiction le faisait avant.
J’en suis venue à ce métier parce qu’il me fallait une nouvelle manière de gagner ma vie. Alors j’ai fait le tour des choses que je sais faire et vendre ma frappe au clavier m’est apparu comme une bonne solution. Je ne dis pas que le fait d’aimer écrire n’a pas joué sur ma décision, mais ce n’était clairement pas le premier argument. Je sais, c’est un point de vue qui ne vend pas du rêve et qu’on ne peut pas mettre sur sa page « à propos », mais c’est la vérité.
Dans mon cas, il n’y a donc pas de promesse non tenue, ni d’espoirs déçus. Je ne peux même pas dire que ça me dérange tant que ça d’écrire sur des sujets inintéressants, je refuse juste les commandes qui sont trop en contradiction avec mes valeurs. Je n’ai pas non plus perdu l’envie d’écrire en elle-même. Au contraire : j’ai mon histoire, mes personnages, une scène qui se déroule dans ma tête, j’allume l’ordinateur et là, plus rien. Une sorte de gel mental qui empêche les images de se transformer en mots. Et quand j’arrive à écrire quelque chose, je me prends à avoir envie d’arrêter au bout de 5 minutes et en plus ça n’a rien à voir avec ma façon d’écrire d’avant. Je compte le nombre de mots que j’ai déjà écrit en me demandant si ça suffit et je perds tout intérêt pour l’histoire en elle-même.
En réfléchissant, je pense que le métier de rédacteur web, comme n’importe quel métier, nous conditionne à avoir des automatismes. Par exemple, une personne qui me verrait évoluer dans la rue pourrait facilement deviner quel est mon métier d’origine à ma manière de marcher, de bouger, de positionner mes mains quand j’entre en interaction avec quelqu’un, parce que cette profession a imprimé ces réflexes en moi et qu’il me resteront toujours. Pour la rédaction web, je pense que c’est pareil. Les heures passées à mettre mes neurones en marche forcée pour répéter toujours le même brief (des articles de 2 000 mots avec maximum 300 mots par paragraphe et 150 mots à répartir entre l’intro et la conclusion) ont fini par créer une sorte de conditionnement qui fait que j’ai les mêmes réflexes en écriture perso et que l’absence de sujet imposé me déstabilise. Comme le processus de création ne peut être enfermé dans un carcan comme un article, ça doit certainement inhiber quelque chose. Je ne dis pas que ce constat a une valeur universelle, encore moins que j’ai la solution, mais c’est la conclusion à laquelle je suis arrivée.
Je reviens aussi sur le fait qu’on doit être libre d’arrêter, ou de changer de manière de travailler. Je comprends ton discours sur le droit à l’erreur et je le partage, mais je voulais tout de même souligner le fait que cette liberté reste très théorique pour beaucoup de personnes (moi, par exemple). Tout le monde ne peut pas assumer une baisse de revenus, parce que nous avons parfois des obligations (je ne parle pas de loisirs, ou de mode de vie à financer, mais de vraies obligations comme celle de mettre du pain sur la table quand on est soutien de famille) et là, le choix n’en n’est plus vraiment un, parce que choisir suppose qu’on a réellement la liberté de faire autrement. Prétendre que déférer à ses obligations est un choix, c’est comme dire à une personne qui donne son portefeuille sous la menace d’une arme qu’elle a le choix de faire autrement, Virtuellement, c’est vrai, surtout si elle est suicidaire, mais en pratique, c’est faux. Il nous faut donc trouver un moyen de faire avec.
Ca valait le coup que tu prennes ce temps, car c’est hyper intéressant ton propos sur les automatismes et sur la difficulté, une fois face à une feuille blanche, de trouver à nouveau la voie à la créativité libre. Ca me parle en partie, en plus. Merci.
Rapidement sur le point sur le choix : j’entends tout à fait ton propos, mais il y a réellement un moment où on peut compresser ses dépenses au point tel qu’on en vient à seulement survivre (pour avoir été dans ce cas, tout en étant salaire de moitié des revenus totaux de la famille, je peux te dire que les sueurs froides ont été aussi les miennes). Mais on peut changer totalement de métier (partir en salariat, trouver n’importe quoi), ou changer de façon de faire. Mais ça ne se fait pas du jour au lendemain. Tu ne dis pas d’un coup « je ne fais QUE ça », c’est une transition. Il ne faut pas oublier qu’en freelance, la RW est une aventure entrepreneuriale et que oui, c’est un pari risqué. Ca reste un choix. Choisir de se précariser un temps (même avec des enfants, quitte à sauter toi des repas pour qu’eux mangent, aient des fringues, etc.), ça se fait. Choisir de bosser la nuit en mode alimentaire et le jour en mode « plus en adéquation avec ses envies » (ou l’inverse) c’est aussi un choix. Choisir de jongler entre un freelancing de RW et un autre métier est aussi un choix. Et il doit y en avoir d’autres encore ! C’est pour ça que je ne considère pas qu’il y a réellement des voies « impossibles ». Il y a ce qu’on n’est pas prêt à endurer (et on a parfaitement le droit, eh), et ce qu’on se sent d’affronter.
Depuis le début, je suis conscient que la rédac Web est à l’écriture ce que Mac Do est à la cuisine. Et ça ne me dérange pas. Tout simplement parce qu’en devenant rédac web je me suis rapproché un peu plus de mon idéal de liberté. J’ai obtenu deux licences en sciences humaines en 2003 et, jusqu’à 2021, j’ai enchaîné les petits boulots de plonge. 20 ans de misère dans un milieu qui ne me correspondait pas, à faire un boulot qui m’abrutissait et me détruisait physiquement et mentalement. Ça fait relativiser.
Depuis que je me suis lancé, je me suis réapproprié mon temps. N’oublions pas que le rédac web n’a pas de patron sur le dos, pas de collègues malveillants pour le harceler. Ne l’oublions pas et soyons conscients de la chance que nous avons de ne pas nous tuer physiquement au travail, contrairement à des milliards de gens sur cette planète.
Après, c’est vrai que je ne pratique à plein temps que depuis quelques mois. Peut-être que dans quelques années je rejoindrais ton dégoût ? À côté de la rédac web, j’ai des textes érotiques qui se vendent relativement bien sur Kobo. Pour moi tout ça n’est qu’un jeu.
J’ai vu mon père pratiquer toute sa vie la peinture. Il sortait des toiles sublimes. Lui aussi avait un idéal de vie élevé et attendait avec impatience le jour où il allait réussir et devenir libre. Il n’a jamais réussi. Parcequ’il refusait le moindre compromis. Il a passé son temps à rêver d’une vie tout en en vivant une autre. J’ai choisi le chemin inverse. J’ai choisi de faire la pute pour me payer ma liberté. Et j’assume.
Attention, Benjamin à ne pas confondre « rédaction web » et « rédaction web freelance ». Cette liberté dont tu parles dépend à la fois de ton statut et de ta façon d’en tirer profit. C’est un ressenti bien trop partagé par les lecteurs-trices de ce billet pour être balayé. Mais, c’est vrai que tu n’as que quelques mois d’exercice, cela peut jouer. Ce qui jouera très certainement est ta lucidité face à l’apport métier. Méfie-toi quand même du « pas de collègues malveillants ». Etre freelance ne protège absolument pas de la communauté.
Enfin, toutes les putes finissent usées à recommander de ne pas s’engager sur ce chemin. Moi y compris. Après 7 ans, j’ai décidé de devenir storyteller, je m’amuse (et me fait payer) bien plus.
Bon courage 🙂
Je me permets de revenir posté un commentaire sous cet article, car j’ai eu une révélation sur le sujet il n’y a pas longtemps et je me dis qu’elle sera peut-être utile à quelqu’un d’autre.
Il y a quelques jours, je regardai un reportage sur la prostitution (attention, je ne compare pas du tout le métier de rédacteur web à celui de prostituée je sais que cela n’a rien à voir) et une des femmes filmées disait au journaliste que depuis qu’elle faisait ce métier, elle avait du mal à se donner gratuitement à son petit ami, parce qu’elle avait l’impression de perdre de l’argent en agissant ainsi. Elle voyait chaque rapport sexuel non-tarifé comme du chiffre d’affaires en moins en quelque sorte et n’arrivait plus à faire la différence entre son « travail » et sa vie privée.
En l’entendant, je me suis rendu compte que c’est aussi l’une des raisons qui bloque mon écriture. Chaque fois que j’écris en perso, je me dis que je perds de l’argent et que je pourrais être en train de faire un article facturé à la place. Au final, j’ai tendance à voir l’écriture de mes propres histoires comme de l’argent perdu et j’abandonne pour rédiger un texte rémunéré. Cela peut sembler affreux de sacrifier une passion pour de l’argent, mais malheureusement les factures ne se paient pas toutes seules et il y en a même quand on ne vit qu’avec le strict nécessaire. Je me dis que je ne dois pas être la seule à éprouver ce sentiment, même si je n’ai pas encore trouvé la solution pour lutter contre.
Quelle beauté des mots ! Oui, l’info classique vient de l’AFP, alors pour les restes du web qu’en est-il ? 🙂
On vit une époque ou la fille de 14 ans qui se maquille sur les réseaux sociaux a plus de revenus que sa prof mdr.
Merci pour cet article emprunt de lucidité !
Pour l’époque, je pense que ça a toujours été plus ou moins ainsi : le divertissement génère de l’argent, c’est logique dans un système capitaliste. Le problème est moins l’époque que le système financier qui l’encadre et lui permet de s’épanouir ^^
Merci à toi !
Malheureusement aujourd’hui, c’est un peu le sentiment général des rédacteurs Web/SEO qui bossent selon un certain « cadre », ce même cadre dicté par la quantité, l’optimisation sémantique et le meilleur résultat dans les SERPs. Heureusement, même si c’est une grande tendance, il existe encore des personnes qui laissent de la liberté d’expression dans les articles, ce qui permet de s’épanouir plus librement et sans contraintes. Alors oui, c’est une minorité qui pratique cette culture de la rédaction web. Mais elle existe encore 🙂
Ton article me donne envie de pleurer. Au moment où j’écris ces lignes, je me destine à devenir rédactrice web. J’ai quitté le travail raisonnable d’ingénieur commercial que je faisais. J’adore écrire, je vis les mots, vraiment. Etre rédactrice web est pour moi un plan B. Mon plan A reste et restera l’écriture de romans (je viens de mettre un point final à mon troisième roman d’ailleurs). C’est le cœur lourd que je me détourne de mon premier amour : la littérature. Mes yeux piquent, mes mains ne veulent plus rien raconter. Aujourd’hui, je suis au bord de l’avion, le parachute sanglé sur le dos, prête à sauter. Et il faut avouer que je suis morte de peur. Je tremble à l’idée qu’écrire des contenus plats à longueur de journée me détourne de ce qui me passionne. Mon style est assis sur le siège passager, il me fixe les yeux remplis d’attente. Il me murmure de penser à lui quand je chuterai vers un autre univers, il me fait promettre de ne jamais l’oublier. Je suis terrorisée à l’idée que mes romans ne reçoivent jamais le succès qu’ils méritent. J’écrirai toujours, je m’en suis fait la promesse. J’espère qu’au grand jamais l’aigreur ne me grignotera le cœur.
Il y a plusieurs choses dans ton commentaire qui attirent mon attention, pour ne pas dire « alerte ».
La première est l’idée que la rédaction web serait une réalisation en tant qu’auteure et la seconde serait que tes histoires « méritent » un succès. Sur ce dernier point, entendons-nous bien : je ne juge pas que la qualité potentielle de ton travail, je souhaite seulement revenir sur ce qui semble important « le succès ».
La rédaction web est un métier du marketing. On peut tordre cette réalité dans tous les sens, je connais très peu d’auteurs qui s’épanouissent dedans dès lors qu’ils doivent se résoudre à appliquer des méthodes et répondre à des enjeux autres que la beauté de la langue. La rédaction web n’est (et n’a jamais été) de la littérature. Même aujourd’hui que je suis storyteller et m’attache aux récits des marques, je peux te dire que les rares textes que je peux produire ou encadrer aujourd’hui n’ont rien de comparables avec ceux que j’écris dans mes romans. Ca serait comme comparer un artiste-peintre et un webdesigner. Ce sont deux réalités différentes. Des enjeux et des applications différentes. Tu ne trouveras aucune réalisation purement littéraire dans ce métier, à moins peut-être de te spécialiser dans le copywriting, mais j’en doute au vu des collègues qui exercent cette expertise.
Je reviens sur cette histoire de « succès mérité ». Est-ce que tu racontes des histoires pour leur succès potentiel ? Dans ce cas, pourquoi opter pour l’écriture et pas n’importe quel autre support artistique ? Il y a peut-être quelque chose de très personnel à interroger dans tout ça (que cela soit tes attentes envers la rédaction web ou cette histoire de succès) : la possibilité que tu recherches dans une matière ou une réaction du public une validation personnelle.
Rien ne t’empêchera jamais de continuer de raconter des histoires… tant que c’est cela ton vrai moteur.
Lorsque j’ai compris cela, j’ai pu progresser dans mon métier, devenir storyteller, et écrire pourtant plusieurs livres. En fait, ça n’est pas plus incompatible qu’autre chose. Il suffit seulement de ne pas se tromper sur les enjeux. Ni se mentir quant à ce que nous y mettons.